Alice, jeune fille de Thann
Marguerite Koos, Imprimerie du "Messager de Colmar", 1934.
Recensé par Dominique Rosenblatt - mars 2023
La romancière, née à Bitschwiller, a publié aussi, en 1939, Katharina Kos von Rammersmatt, 1768-1837, eine Lebensskizze, réédité chez Alsatia, disponible sur internet[1].
L’aventure d’Alice restitue les mentalités des années 30, à travers une histoire d’amour contrarié, placée dans le contexte alsacien d’avant 1914. C’est une mise en abyme de la légende de Pierre de Hagenbach, réclamant en mariage une jeune fille de Thann, Alice de Tengen, qui aime Franz de Landskron. Elle accepte par esprit de sacrifice ce sort funeste, mais se trouve délivrée par la mort providentielle du despote, avant le mariage.
La nouvelle Alice, courtisée pour sa dot par un Allemand sans scrupule, devant les instances de son père, accepte le mariage pour sauver l’honneur de la famille, au risque de perdre le sien. Hagen, le fonctionnaire hypocrite, incarne une Allemagne sûre d’elle, désirant ramener l’Alsace aux sources du Saint Empire, loin de la France anticléricale.
Le dernier recours de l’héroïne aux abois, et sa source d’inspiration, réside en une foi chrétienne brûlante, dont la collégiale, l’invocation de la Vierge et les textes des offices sont autant de consolations. Dans ce cadre dominent les thèmes historiques :
- La francophilie des Alsaciens, allant à Belfort les 14 juillet, ou l’entrée des Français dans Thann le 7 août 1914, le sacrifice des soldats. Les camps de concentration français pour les « Alboches », le triage de 1918, les vexations de tous bords.
- La prudence des autres Alsaciens, retenus de frayer avec des Allemands nouveaux venus, fonctionnaires et militaires, sauf lorsque leurs intérêts l’exigent. Le père de la jeune fille joue ainsi le rôle de commerçant aveuglé par l’appât du gain, qui perd sa fille, dans un marché de dupes.
- La puissance de la foi, le souvenir du pensionnat de Ribeauvillé, francophile, la délicatesse des sentiments et l’amour filial. Les religieuses sont aussi les personnalités fortes qui secourent toutes les détresses.
- La prégnance de la culture alsacienne, de l’horizon allemand à la persistance du français, à travers les choix déchirants des optants, de 1870. Et le triomphe de l’amour !
Le cadre de la vallée de Thann, de ses monuments, du cimetière de Moosch, le train vicinal de Bussang à Wesserling, imprègnent les êtres selon qu’ils sont pacifistes ou épris de revanche, d’autant qu’avec les circonstances « en temps de guerre, la mentalité du temps de paix n’est plus de mise » (p. 121). Le roman montre aussi comment la montée des périls pousse les gens au manichéisme et à la radicalisation.
Le principal intérêt de cet ouvrage désuet réside dans le témoignage d’une romancière qui souligne cette vérité d’expérience : on ne peut sortir de la guerre et de la rancune, que par l’exigence personnelle et l’épreuve du pardon. On pourra trouver ce roman trop convenable et trop français, mais on peut y voir aussi une tentative d’éducation et de consolation, à l’usage des jeunes filles, dans une vallée qui est restée occupée par l’armée française durant toute la première guerre mondiale.
[1] Catherine Kos de Rammersmatt de Marguerite Koos - ePub - Ebooks - Decitre Catherine Kos de Rammersmatt de Marguerite Koos - ePub - Ebooks - Decitre