La place des langues française et allemande dans le Rhin Supérieur / Der Stellwert der deutschen und französischen Sprache am Oberrhein
publié sous la direction de Pierre Klein, Fédération Alsace Bilingue, 2022
Recensé par Michel Bentz
Il s’agit des actes d’un colloque organisé à Strasbourg le 22 octobre 2021 : le fascicule de 128 pages contient les comptes rendus des diverses interventions faites par des représentants institutionnels, universitaires et associatifs. Nous les regroupons sous trois thématiques :
Des contributions relevant de l’état des lieux et/ou brossant des perspectives de renouvellement
Jean-Marie Woehrling relève la faible efficacité des politiques mises en place pour favoriser le bilinguisme dans le Rhin Supérieur. Il en analyse les causes, en particulier l’absence de symétrie entre le Baden-Württemberg et l’Alsace en matière de représentation et de statut de l’autre langue. Il brosse ensuite six axes pour une nouvelle stratégie.
Pascal Mollet-Pfiffert, de la chambre de commerce de Freiburg insiste sur le fait que la connaissance des langues allemande et française est indispensable dans tous les secteurs économiques du Rhin Supérieur sans exception. Elle milite pour un apprentissage linguistique décomplexé et adapté au secteur d’activité concerné. Elle note au passage que le plurilinguisme au niveau des individus est une évidence en Suisse.
Claudine Brohy de l’université de Fribourg en Suisse relève (dans une contribution bilingue) que dans une Alsace, pourtant très bien dotée en structures associatives de promotion de la langue régionale, les compétences en allemand standard et dialectal ne cessent de s’amenuiser. Elle liste succinctement un certain nombre de pistes connues en y ajoutant l’idée de réaliser à intervalles réguliers un « baromètre » mesurant la place et le statut des langues en contact.
Le Suisse, Christian von Wartburg, explique que dans la Confédération l’apprentissage des langues nationales, d’obligatoire et évident qu’il était dans le passé, se trouve de plus en plus concurrencé par la pression de l’anglais et relégué au rang d’option sympathique mais non essentielle, du mois dans les cantons éloignés de la frontière française. Il appelle de ses voeux une organisation plus décentralisée de l’éducation en France qui permettrait de mettre en place des dispositifs spécifiques pouvant répondre au réel besoin de formations bilingues dans le Rhin Supérieur.
Des contributions touchant à l’enseignement des langues
Jean Peter raconte la brève histoire de l’école associative bilingue et franco-allemande de Kappel-Graffenhausen. Il énumère les raisons de l’échec de cette initiative : structuration différente des écoles maternelles et primaires dans les deux pays, énorme différentiel de rémunération entre les enseignants recrutés par les autorités allemandes d’une part et les autorités françaises de l’autre, proximité des instances dirigeantes de l’éducation (du Land) en Allemagne mais éloignement dans la France centralisée.
Claude Froehlicher, explique que les classes bilingues, obtenues de l’Education Nationale il y a 25 ans sont devenues le seul moyen de pallier la déperdition de la transmission familiale de la langue régionale. Or l’offre bilingue n’est faite actuellement qu’à un tiers des familles. L’expérience acquise dans le cadre de l’association Eltern lui fait dire que si cette offre était généralisée, il y aurait 100 000 élèves en classes bilingues sur les 160 000 que compte l’académie. M Froehlicher détaille également le dispositif Eurostages, un réseau de mise en relation des élèves de 3e avec des entreprises outre-Rhin accueillant des stagiaires. Enfin il explique que face à l’argument du manque d’enseignants souvent opposé par l’administration scolaire pour refuser des ouvertures de sites bilingues, l’association Eltern a développé un canal de recrutement d’enseignants outre-Rhin qui lui permet de présenter suffisamment de candidats compétents pour pallier le manque d’enseignants français.
Delphine Mann, s’interroge sur la motivation pour les jeunes Alsaciens d’apprendre l’allemand. Elle postule que le simple motif utilitaire (aller travailler en Allemagne) ou les références à ce qu’elle
appelle « l’histoire lourde », les traumatismes des guerres franco-allemandes, ne suffisent pas à donner envie d’apprendre.
François Weiss évoque « l’iceberg » de la compétence de communication interculturelle dont, la maîtrise de la langue n’est que l’aspect visible. Il relève l’égale importance des compétences civilisationnelle, civilisationnelle contrastive, empathique, interculturelle et, pour les régions frontalières, une compétence intra-culturelle (une capacité à voir les convergences et proximités entre les deux espaces culturels concernés).
Thomas Bürgi relate la mise en place et le développement du cursus trinational « International Business Management » entre l’Université de Haute Alsace, La Duale Hochschule de Lörrach et la Fachhochschule Nordwest Schweiz de Bâle. Ce cursus recrutant des étudiants suisses, allemands et français, se déroule, par une alternance de semestre en semestre dans les trois universités et utilise à parts égales l’allemand, le français et l’anglais comme langues d’enseignement. En plus de vingt années d’existence le cursus a permis à un grand nombre de jeunes de se confronter aux réalités interculturelles à la fois dans le cadre privé de la vie étudiante et dans le monde de l’entreprise.
Des comptes-rendus de diverses initiatives transfrontalières et trans-culturelles.
Perrine Choquet présente la Compagnie franco-allemande Theater Baden Alsace (BAAL) qui offre quelque 145 représentations annuelles mono- ou multilingues (allemand standard, français, dialecte). Le Forum Européen sur le Rhin à Neuried est devenu un lieu de rencontre à la fois symbolique et pratique pour les publics individuels et scolaires des deux côtés du Rhin. Un accent particulier est mis sur le théâtre jeune public à travers des pièces bilingues pour chaque tranche d’âge et des clubs et ateliers de théâtre. Le défi artistique est de créer des spectacles multilingues pour des publics partiellement monolingues tout en conservant une dramaturgie passionnante et une qualité d’un point de vue artistique. La conférencière concède que les collectivités allemandes sont de très loin les principaux financeurs du dispositif alors que la balance s’inverse lorsqu’on observe la provenance des publics. De son côté, Isabelle Klee-Couturier met en avant le lieu culturel ArtRhena sur l’Ile du Rhin en face de Breisach, structure transfrontalière soutenue par les collectivités des deux bords du Rhin. Le projet a été monté en lien avec les populations des deux rives qui propose des spectacles s’adressant concomitamment aux publics scolaires et adultes des deux pays.
Dominique Fritsch et Ilona Maier présentent Baguette & Marmelade, une revue interculturelle pour les 7 à 12 ans proposant en trois numéros annuels des jeux, lectures et activités dans les deux langues. Julien Steinhauser présente la nouvelle offre éditoriale en langue allemande Rheinblick crée par les deux quotidiens régionaux l’Alsace et les Dernières Nouvelles d’Alsace en remplacement de leurs traditionnelles éditions bilingues. Le magazine cible un nouveau lectorat de jeunes actifs transfrontaliers. 12 à 15 000 abonnés seront nécessaires pour pérenniser le magazine.
Alexis Lehmann, explique que, selon lui, le projet Life Valley contourne l’obstacle de la Grande Région en adossant l’Alsace économiquement à un territoire européen de proximité.
Jean Faivre rend compte dans une contribution bilingue de l’opération Sprochrenner. Il s’agit de créer un événement festif et populaire pour donner une impulsion à la langue régionale qui « brûle à petit feu, et nous regardons ailleurs. » Le parcours de la course débute à Bâle pour bien marquer l’aspect transfrontalier de la langue. Chantal Arbouin et Markus Hübers détaillent les activités de l’association Grenz’up, qui à Mulhouse organise des ateliers sur les pratiques professionnelles dans le pays voisin, sur la recherche d’emplois ou d’activités d’été ainsi que des Kaffekränzen de discussion.
Les actes du colloque se terminent par un rappel historique rédigé en deux langues des principaux éléments de culture partagés dans le Rhin Supérieur et, en annexe par des informations sur la politique linguistique menée en Bretagne.