NATHAN KATZ, ITINERAIRE SPIRITUEL D'UN POETE ALSACIEN
Victor HELL, Alsatia, collection « Prestige de l’Alsace », poésie populaire, tradition et renouveau, 1978. 231 pages.
Recensé par Dominique Rosenblatt
Professeur à l’université de Strasbourg, grand connaisseur de Schiller et Rilke, l’auteur propose un texte de haute tenue, appuyé sur la méditation de l’œuvre de Katz et de ses entretiens avec le poète. Elégamment illustré, le livre est enrichi de larges citations de l’œuvre, précisément traduites. Victor Hell se propose de dégager de l’œuvre de Katz les conditions et les horizons d’une écriture authentiquement populaire et naturelle.
L’ouvrage est constitué de six chapitres, dont quatre proposent l’analyse, et les deux derniers un choix de poèmes de Katz, puis ses traductions en alémanique de textes européens.
Depuis 1968, la poésie a pu échapper au jacobinisme culturel et redevenir provinciale, s’opposer au centralisme linguistique, et, en Alsace, se vouloir attachée au terroir, et multilingue. Katz, poète français d’expression dialectale allemande/alémanique du Sundgau, contribue à une aire transnationale disant une part de l’identité européenne des peuples.
Comme Hebel (1760-1826), il est autant populaire que classique, proche de la vie agreste des petites gens, loin des catégories du nationalisme. Leur poésie donne la parole au peuple, en s’enracinant dans une sensibilité et une spiritualité.
La poésie de Katz, loin de tout folklore, exprime avec force le désarroi des êtres happés par les griffes du militaire, piétinant l’enfance, et exaltant, par la séquestration, la sensibilité et l’imagination. La poésie devient l’art de magnifier la Haimet, ce monde essentiel et sacré, cette terre de paix anténationale.
Le Galgenstüblein lave le monde de sa méchanceté, grâce à la figure expiatoire du Christ en pleurs, comme dans Annele Balthasar. Sa poésie sera retenue et concise, précise et discrète, sa langue alémanique, déjà magnifiée par Hebel, deviendra le vecteur d’une culture des petites gens.
Après 1918, Katz entre en autodidacte dans le monde franco- et anglophone, et trouve chez Mistral ou Shakespeare, les échos d’une spiritualité faite de sagesse. Sa pensée délicate et nuancée est à contre-courant de la brutalité du siècle. L’œuvre exprime une conscience tragique, sans hypocrisie ni esthétisme, sans vulgarité ni platitude.
Son dialecte véhicule une sagesse ancestrale, et une lucidité, tirées de l’expérience des humbles, loin des tentatives d’assimilation culturelle de la troisième République ou des anthologies nazies.
A partir des années 30, sa poésie s’élève à un lyrisme cosmique, et rejoint un Schweitzer dans la défense de la cause de la paix et du respect de la vie, exprimés dans le style suggestif des almanachs qui nourrissent la vie intérieure des lecteurs.
Il sert de mentor à Guillevic ou à Jean-Paul de Dadelsen, élèves au lycée d’Altkirch ; dans le cercle littéraire qui se déploie, il fait figure de sage, délicat traducteur en alsacien, de grands textes du patrimoine européen. La qualité de son expression dialectale élargit alors le domaine spirituel alsacien.
En poète romantique, il retrouve, au soir de sa vie, les exigences d’émerveillement et de candeur de son enfance. Il déplore avec Storck, auquel le lie une autre amitié littéraire, l’ignorance des Alsaciens de leur histoire singulière, dans laquelle de fortes personnalités ont un rôle si marqué dans le monde rhénan.
Ensemble, ils optent pour l’humble fidélité au pays natal. Poète populaire, en effet, il rend la parole à son peuple, par le truchement de ses personnages de théâtre : Annele Balthasar est montée en 1977 par le groupe de Bendorf.
Mais Hell souhaite poser les caractéristiques de l’esthétique alémanique. Il en appelle à Hebel, prélat tolérant, poète du Marckgräflerland et du Pays de Bade, dans sa poétique et son art du quotidien, qui rejoint chaque homme de bonne volonté.
Hebel rédige des almanachs, ces collecteurs de culture populaire, qu’ils diffusent travers un style naturel, un contenu éducatif, pratique, un ton vivant et fantaisiste, qui en font, de fait, un « Hausfreund ».
Katz peint de même le Sundgau. Sans le savoir, Hebel a créé la forme du récit court, et fait de l’almanach un objet poétique, transposant en langage lyrique le monde concret, qui parle à l’âme.
L’almanach instruit, tout en suscitant la réflexion du lecteur. Katz, qui sait depuis son enfance certains des poèmes de Hebel, s’exprime naturellement dans le même alémanique sundgauvien.
Son Sundgau devient un lieu poétique : Katz, en accord avec sa sensibilité populaire, en exprime en expressions familières le mouvement animique. Il déplore le glacis militaire que devient le Sundgau après la première guerre mondiale, alors que la vie rurale reste rythmée par son accord avec la nature.
Il magnifie sa Haimet au travers des diminutifs affectueux, des expressions imagées, des allitérations et l’usage du vers libre. Il chante avec lyrisme la vie et la mort et la terre nourricière, matricielle, qui régit avec naturel des amours simples. Il développe un hymne au sacré de la vie.
A la pudeur de l’écriture répond celle de l’observation, riche du merveilleux, libre des conventions, pétrie de la vibration d’une communauté des vivants et des morts, d’un village ouvert à un panthéisme émerveillé, auréolé de la figure christique des compatissants. C’est une poésie de l’espérance.
La démarche de Victor Hell est appuyée sur une vaste culture littéraire et germanistique, nourrie de repères historiques, sociologiques, politiques et psychologiques conforme à l’époque de la publication. On peut regretter seulement l’absence d’une bibliographie savante. Reste la lecture stimulante d’une analyse subtile, sans concession pour les difficultés de la situation alsacienne, qui milite de manière pénétrante pour une lucidité humaniste peu complaisante à l’esprit du temps.