LES LEGENDES ALSACIENNES AU REGARD DE L'HISTOIRE
Michel Krempper, Salde, 2018, 458 pages.
Recensé par Dominique Rosenblatt
Davantage connu pour ses travaux, sur l’autonomisme alsacien ou la guerre des paysans, qu’en tant que folkloriste, l’auteur propose une synthèse de l’ensemble du légendaire alsacien, enrichi d’hypothèses historiques.
La préface de Gérard Leser présente les travaux initiaux de collectage précieux entrepris par l’abbé Braun, (1820-1877), pour le Florival/Blüamatàl, et d’Auguste Stoeber, (1808-1884), pour l’ensemble de l’Alsace.
L’avant-propos précise la différence entre le conte, récit de fiction ni daté ni localisé, et la légende, (die Sage, dans le monde allemand, ce qui doit être déclamé et écouté, ou la légende, ce qui mérite d’être lu), récit enraciné dans un lieu et dans un temps. Les vies de saints, diffusées à partir du VIIIème siècle en Alsace, contribuent pour une grande part à cette création collective. Leur dimension crédible en fait une « vérité imaginaire », qui constitue un écho des grands mythes universels.
On connait 1600 légendes alsaciennes. L’auteur les classe en cinq domaines thématiques : les récits d’origine du monde, le monde des esprits, les personnages historiques, les récits propres à des villes, des lieux, et un bestiaire alsacien.
La mer mythique originelle, qui aurait couvert l’Alsace, a laissé en se retirant une foule de sédiments légendaires : du Vater Rhein, juge impartial des affaires humaines, selon les Germains des premiers siècles historiques, vont émerger des thèmes sur les ondines, les sources, les fontaines, les lacs et étangs. Puis ces environnements liquides seront christianisés, comme cela s’observe dans la légende de sainte Hunna.
Les Alamans introduisent donc les divinités germaniques, mais aussi les géants, comme Schletto, qui construit Schlettstadt, ou ceux du Nideck, conscients de leur dépendance des humbles laboureurs. A l’opposé figurent les nains, qui pourraient exprimer, dans leur malice ou leur rouerie, des formes de l’inconscient humain. Mais il n’oublie ni les diaphanes dames blanches ni les elfes ou les spectres, les chevauchées fantastiques et les chasseurs maudits.
Dans ce vaste corpus s’inscrivent également les histoires de sorcières, poursuivies surtout entre 1580 et 1650, leurs sabbats, leurs œuvres impies, dont devait protéger le Geistlicher Schild, recueil de prières en usage dans les campagnes.
Le christianisme infuse le légendaire, avec l’édification du Dompeter, l’action édifiante de Valère et d’Euchaire, précurseurs des missionnaires irlandais. La figure de Sainte Odile domine cette famille de récits, mais elle est environnée de figures féminines exaltantes, comme celles de Sainte Richarde. Les légendes de la Vierge trouvent leur place dans ce corpus, tout près de celles du Chrischtkìndel, enfant Jésus merveilleux.
Krempper assimile à ce fonds les récits de héros guerriers, comme le Walther des Niebelungen, Wolfdietrich ou le légendaire Barberousse, qui rivalisent dans l’héroïsme avec des femmes exceptionnelles, telles Brigitte Schick, qui sauve Guebwiller, ou celles de Rouffach, qui font triompher la vertu par leur mâle courage.
Les légendes de créations des villes concernent par exemple Sélestat, Thann, ou Mulhouse. Le lac souterrain de la cathédrale de Strasbourg s’illustre ici, ainsi que les récits de monastères, de douves, de châteaux, de ponts et de moulins.
Le bestiaire s’ouvre avec les dragons, gardiens mythiques de certains pouvoirs terrestres, mais qui sont défaits par St Amand et ses continuateurs. Les serpents, grenouilles, crapauds, animaux grouillants et détestés, n’en auraient pas moins figuré sur les armoiries des premiers rois francs, avant de se métamorphoser en plus convenables fleurs de lys.
Bien des lieux ont leurs Dorftiere, comme ce chat noir diabolique du Hugstein, mais c’est sur l’élégant symbole de fertilité que représente la cigogne, que se termine la compilation.
Le lecteur referme, songeur, ce vaste panorama. Il lui reste à trouver, pour prolonger la connaissance de ces thèmes européens, surtout germaniques, une bibliographie opportune.
Il pourra lire alors, du même auteur, le Dictionnaire des Légendes d'Alsace (2019).