Cinquante mots pour comprendre la Résistance alsacienne (1939-1945)
MERLE, Bertrand, (2023), (dir. de), Editions du Signe, 196 pages.
Recensé par Dominique Rosenblatt
Les auteurs sont proches de l’AERIA (Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens).
Leur éclairage, qui ne concerne qu’un aspect limité de la réalité de l’époque, est contextualisée par Marie-Claire Vitoux, spécialiste, avec Marie-Noèl Diener-Hatt, cette dernière animant le site http://comebal.free.fr (Comité pour la mémoire de la Brigade Alsace-Lorraine).
Marie-Claire Vitoux, qui rappelle l’historiographie allemande, précise que si la Résistance est bien un mythe politique français, le terme recouvre néanmoins une réalité complexe, à peine étudiée pour les trois départements annexés. Elle voit dans l’action de l’AERIA la possibilité d’une réconciliation mémorielle entre nos départements et le reste de la France.
En effet, les modes d’oppression variant, selon les six zones d’occupation, impliquent une résistance adaptée. En Alsace-Moselle, le régime totalitaire nazi exige l’adhésion, impose un embrigadement, un programme racial, et menace de camp de rééducation. Ces spécificités induisent une attitude allant de la passivité à la résistance armée, les Alsaciens, catholiques ou communistes, tentant des connections avec la résistance française. Mais la non-adhésion domine.
La préface de Victor Convert, préfet honoraire, directeur général de la Fondation de la Résistance, voit dans la résistance alsacienne au nazisme une modalité d’adhésion à la France, qui a permis à l’Alsace de se trouver dans le camp des vainqueurs, en 1945.
Bertrand Merle, journaliste honoraire, réalise la majeure partie de l’ouvrage, évoquant les conséquences de l’annexion, les zones d’occupation, les expulsions, les filières d’évasion, l’exode de l’université de Strasbourg, la manifestation nocturne du 14 juillet à Hochfelden, la situation des militaires hors d’Alsace et en Alsace, les officiers de réserve réfractaires, ou non rentrés après l’armistice, les réseaux et filières, les exécutions sommaires, les combats et les Compagnons de la Libération, les croix de guerre, les sportifs…
Des destins marqués dans l’espace public ; le monument de Strasbourg, voilé de noir en 1953, les Vosges poreuses et les voies de la victoire : les articles microhistoriques de cet auteur déplorent la répétition des guerres, mais saluent la mémoire des individus exceptionnels, comme dans la notice sur les procès, ou celle concernant les filières et réseaux d’évasion, ainsi que les combats de la libération en 1944-45. Il énumère des balises mémorielles sur le terrain.
Marie Goerg-Lieby, journaliste et présidente de l’AERIA, rappelle l’incendie des synagogues, dont celle de Strasbourg, ainsi que la mémoire du Grand Rabbin René Hirschler, (1905-1945), médaillé de la Résistance et mort en déportation.
Marie-Claire Allorent, enseignante honoraire d’histoire-géographie, présente les spécificités mortifères du camp de concentration KL-Natzweiler, sa construction, son encadrement SS, sa fonction et les expériences médicales menées. Elle présente le site de Vorbruck-Schirmeck, destiné à la répression intérieure, ses commandos, sa fin, et présente la liste, établie par Éric Le Normand des détenus décédés, hors exécutions sommaires.
L’évocation du camp s’arrête à son utilisation par les nazis, puis passe au mémorial Alsace-Moselle. Un autre de ses articles évoque la vie, mal connue, des familles déportées vers des camps spéciaux en Allemagne ou Silésie.
Elle présente la liste des 78 alsaciens « Justes parmi les nations », souvent des chrétiens, qui ont entrepris des actions de sauvetage des juifs. Elle termine avec un article sur le rôle mémoriel du concours national de la résistance et de la déportation.
Jean-Max Morillon, contributeur Wikipedia, présente les unités de combat, les GMA, qui fournissent environ 4000 combattants à De Lattre. Il rappelle l’action de Bernard Metz (1920-2009), pour recruter des volontaires qui formeront en 1944 la brigade indépendante Alsace- Lorraine, laquelle participera aux combats pour la libération. Le GMA suisse est engagé dans le Sundgau, le GMA Vosges se heurte aux troupes allemandes qui exerceront ensuite de terribles représailles sur les villages.
Marie-Noèl Diener-Hatt, complète les données précédentes en revenant sur la campagne d’Alsace de cette BIAL, composée en majorité de personnes issues de l’exode, équipées de manière hétéroclite, avec des péripéties tragiques, engagée pour la reprise de l’Alsace, sur le front vers Strasbourg ou Mulhouse.
Jean-Marie Esch, enseignant honoraire d’histoire-géographie, évoque l’humour critique et grinçant des Alsaciens.
Julien Fuchs, professeur à Brest et docteur en Staps, relate la part du scoutisme clandestin dans la résistance alsacienne, en Alsace et sur les lieux de l’évacuation, ses activités discrètes et son appui aux évasions. Certains de ses cadres deviendront des personnalités de l’après-guerre.
Éric Le Normand, enseignant d’histoire-géographie, soupèse l’attitude alsacienne de résistance à la nazification, dont le meilleur marqueur lui semble les internements à Schirmeck.
Marie-José Masconi, auteure, relate l’histoire du décret Nacht und Nebel, et de l’internement des français au Struthof. En collaboration avec Bertrand Merle, elle présente quelques situations d’Alsaciens classés NN.
Nicolas Mengus, médiéviste, responsable du site https://www.malgre-nous.eu/ rappelle les modalités d’attribution de la nationalité allemande aux Alsaciens. Il revient sur la célèbre affiche Hinaus mit dem welschen Plunder, sur l’adhésion, extorquée, aux mouvements de jeunesse, consacre un paragraphe aux engagés volontaires, d’après le mémoire de Geoffrey Diebold (2017), et un autre sur l’usage répressif de la culpabilité collective (Sippenhaftgesetz).
Il revient sur l’incorporation de force, avec une liste indicative des Alsaciens fusillés pendant le service allemand, ou son corollaire, le Reicharbeitsdienst, prélude à l’enrôlement, y compris pour les femmes. Les actes de résistance ou de désertion impliquent plus de 1500 soldats. Il signale aussi les traitements différenciés qui attendent ceux qui reviennent.
Daniel Morgen, docteur en histoire, qui collecte des témoignages Les Récits des réfractaires alsaciens - Site de Daniel Morgen (onlc.fr), présente la rééducation forcée des agents de la fonction publique, ainsi que le rôle de la Suisse, lieu de passage et refuge pour 9000 Alsaciens, la moitié des 18000 évadés. Ces derniers deviennent des réfugiés internés, des groupes d’entraide se constituent, ainsi que des groupes combattants.
Marie-Claude Richez, membre de l’institut d’histoire sociale CGT, présente les différents organes de presse clandestine, à périodicité variable, les tracts, la presse communiste.
Des éléments transversaux parcourent l’ouvrage : les procès, la nationalité, le Reicharbeitsdienst ou le Krieghilfsdienst, les zones d’occupation, les organisations secrètes, notamment. Une chronologie le termine. Chaque article est suivi d’une bibliographie sommaire.
Des encarts sur fond de couleur constituent des illustrations documentaires. L’ouvrage, qui comporte des illustrations, comme le décret de l’incorporation de force, constitue une initiation à l’histoire de l’Alsace pour un public national souvent peu averti, mais il oublie la réalité quotidienne des Alsaciens et, oubliant la part de la France dans les souffrances politiques des Alsaciens depuis 1918, donne à penser que les Alsaciens dans leur ensemble étaient patriotes français, ce qui n’est pas démontré.