LES MALGRE-NOUS DE LA KRIEGSMARINE : destins d'Alsaciens et de Lorrains dans la marine de guerre du IIIème Reich
Jean-Noël Grandhomme. La Nuée bleue, 2011
Recensé par Dominique Rosenblatt
Le plan chronologique va des engagés volontaires aux marins de carrière, de la Kriegsmarine aux Marinenhelferinnen, du début de l’incorporation de force à la fin du rapatriement, et à la mémoire.
L’introduction contextualise le destin des marins « Malgré-nous ». Les jeunes de l’époque ont pu être attirés par le biais d’activités nautiques, qui obligeaient les intéressés à rejoindre une formation nationale-socialiste. Il faut donc relativiser la posture des, peut-être, 2100 « volontaires » alsaciens, dont le chiffre constitue moins de 2% de l’effectif.
En effet, les volontaires sont souvent anciens cadres de la HJ. Les motivations vont du goût de l’aventure à l’évitement du front russe, par l’allongement de l’instruction, surtout pour les futurs officiers, qui ne sont pas militants nazis.
Les marins Alsaciens-Lorrains embarquent à Wilhelmshaven, la marine ouvrant à des carrières variées, jusqu’aux plus hauts échelons. Les témoins relatent la dureté des classes, l’éducation politique, l’affectation à l’un des 18 métiers possibles, dont certains ne sont pas navigants.
Le RAD ouvre incorpore des jeunes des deux sexes, les filles étant ensuite envoyées comme auxiliaires de guerre au KHD, y compris à la Kriegsmarine, puis déclarées combattantes à partir de fin août 1944. Les pertes sont inconnues, parmi les 70 000 personnes, dont 15 000 jeunes filles, incorporés au RAD.
La Kriegsmarine reçoit surtout les classes 1914 et 1926, et, parmi les insoumis, 27 000 transplantés et 12 000 internés ou déportés. Mais parmi les réfractaires, il y a ceux restés dans la marine française, ou les forces navales libres, au risque de la persécution de leur famille.
Pour la plupart, la mer, c’est un quotidien dangereux, adouci par présence de compatriotes, jusque dans les sous-marins. La Kriegsmarine existe à Strasbourg, ou à Sennheim, au camp de Saint-André de Cernay. La chute de la France facilite le déploiement de la marine allemande aux quatre coins de l’Europe.
A la fin de la guerre, les marins sont versés dans l’infanterie, sur le territoire allemand, face aux Russes qui foncent vers Berlin. Ils prêtent main forte à la population civile, dans des conditions bien plus meurtrières qu’avant.
Peut-être 20 000 sont incorporés initialement dans l’Organisation Todt, et se retrouvent terrassiers, mais certains réfractaires sont envoyés en camp de concentration, à Neungamme, et rejoignent d’autres déportés et prisonniers. Cette tragique dimension d’esclavage interroge la réputation de correction de la Kriegsmarine, où la mentalité est plus souple, les discriminations moindres, même pour les francophones et les séminaristes, au moins avant l’attentat de Von Stauffenberg.
A partir de janvier 45, la marine doit, à la fois, retenir l’ennemi et tenter de sauver les populations civiles, terrorisées par les exactions russes. 200 000 hommes sont faits prisonniers dans la poche de Courlande, mais en Poméranie, à Dantzig, en Prusse orientale, les civils et les soldats tentent de fuir à tout prix : les évacuations continuent jusqu’aux dernières heures de la guerre.
Un bombardement américain sur Swinemünde fait 23 000 morts, dont une majorité de réfugiés. Dans cette apocalypse, la marine évacue les survivants de la poche de Königsberg, et des milliers d’Alsaciens et de Lorrains doivent ainsi dû leur salut aux décisions de l’amiral Dönitz.
Le négociateur allemand de la reddition est entravé par l’effet déshonorant de la découverte des camps de concentration. Des milliers d’Alsaciens Lorrains, restés face aux Russes, pour protéger la famille, mais aussi nombre de déserteurs, sont pris au piège. L’auteur relate différentes situations individuelles rocambolesques, sur fond de dénonciation, de peine de mort à partir de 1944, d’espoir de l’avancée des Alliés.
Plus de 11 millions de soldats allemands sont prisonniers, dont un tiers des Soviétiques et des Yougoslaves, parmi tous, environ 90 000 Alsaciens Mosellans partagent le sort cruel général. Tambov regroupe les Français, mais en laisse mourir une quarantaine par jour.
A l’ouest, les Anglo-Saxons sont débordés, les situations variables. Les Américains soupçonnent les Alsaciens-Lorrains, qui subissent des brimades. Les marins capturés en France ne sont pas interrogés à des fins militaires. La France pèse peu sur les rapatriements.
Ils vont donc s’échelonner sur une décennie. Le gouvernement français ouvre un camp de triage militaire à Chalons sur Saône. Jusqu’en mai 1946, des équipes de recherche en Allemagne retrouvent moins de 2000 personnes, dont 990 en zone soviétique. L’Etat ne manifeste pas de zèle excessif, et ce sont des officiers attentifs qui gèrent les situations.
Des missions de rapatriement concernent toute l’Europe, et les retours sont lents. En 1946, des associations, dont l’ADEIF prennent le relais de l’administration débordée. La réadaptation est difficile, mais certains marins, comme le sénateur Goetschy ou le professeur de médecine Karli, font des carrières brillantes.
Par contre, les malheureux anciens volontaires subissent la vindicte populaire et sont inquiétés, emprisonnés, privés de la nationalité, soumis à des amendes. Certains contestent ou sont amnistiés.
Le retour de guerre de ces marins est donc différent de celui du reste des soldats français, et largement incompris de la population générale. Les marins, tombés surtout à la fin, sont déclarés ultérieurement « morts pour la France », mais peu de corps peuvent être rapatriés. L’attente et le deuil des familles en sont compliqués. Le Mémorial de Schirmeck ne traite que peu leur situation.
A partir de 1957, puis de 1972, ces services peuvent être validés pour la retraite, puis, en 1981, une fondation financée par l’Allemagne indemnise les demandeurs. Les invalides et orphelins ne reçoivent pas toujours de pension.
Au bout d’un demi-siècle et de nombreuses publications, les vétérans espèrent de la construction européenne, sans avoir généralement gardé de lien avec leurs compagnons allemands. Ils adhèrent prioritairement aux valeurs régionales, portent l’amertume d’un sentiment d’abandon, refusent l’amalgame entre autonomisme et nazisme, et attendent de la République, sinon la compréhension, au moins une forme de repentance, jusqu’aux bien tardives déclarations du président Sarkozy en 2010.
L’intérêt de l’ouvrage réside dans le nombre de témoignages.