PETITES HAINES ORDINAIRES : histoire des conflits entre catholiques et protestants en Alsace, 1860 - 1940
Alfred WAHL, La Nuée bleue, 2004, 285 pages.
Recensé par Dominique Rosenblatt - mai 2024
La couverture, accrocheuse, recycle une caricature de 1924, avec des paysans obtus prêts à en découdre. Un index des noms de lieux cités souligne l’ampleur des oppositions confessionnelles alsaciennes dans la période. Des repères chronologiques prudemment explicités vont de 1870 à 1939, et terminent l’ouvrage.
Il montre, de manière non chronologique, l’influence de la confession sur le niveau de vie, les chroniques de clocher, et enfin le rôle des appartenances dans les anciennes tensions politiques alsaciennes.
Les rarissimes unions mixtes, vues comme des trahisons, font face à l’hostilité générale.
L’auteur développe la subtilité des conflits, des baptêmes aux funérailles. Dans les villages mixtes, le simultaneum, introduit par Louis XIV, génère des frictions, le refus protestant des décorations étant facilité à partir de 1871.
Depuis le XVIème siècle, et la bifurcation entre les mentalités religieuses alsaciennes, l’avance agricole et économique des villages protestants se vérifie dans les chiffres. Un fort clivage entretenu par les usages, l’endogamie, l’antisémitisme, cache des intérêts matériels : possédants protestants modernistes contre prolétariat catholique traditionnel, avec un antisémitisme économique, jusque vers 1940.
L’exode rural des prolétaires catholiques chasse également des juifs dont l’activité de prêteurs est contrée par le développement des caisses de crédit tout au long du Reichsland. Ils y retrouvent, aux commandes des villes, des protestants qui ont veillé à leur ascension sociale.
Après la cession de 1871, ils s’opposent au Kulturkampf : la solidarité confessionnelle prévaut, malgré des nuances. Après 1890, la France anticléricale perd de son prestige, l’électorat catholique se radicalise peu à peu, avec 14 journaux, et le soutien du clergé.
La Constitution de 1911 favorise un peu de consensus, mais après 1918, la République laïque divise les catholiques, qui n’ont pas davantage confiance dans une Allemagne en révolution. Après 1918, le monde catholique s’élève dans la hiérarchie sociale. Les campagnes se désenclavent, la coexistence s’améliore, mais de nouveaux communautarismes urbains, musulman et juif, se développent pendant la seconde moitié du vingtième siècle.
Le Zentrum catholique, devenu UPRNA puis UPR, reste régionaliste et confessionnel, les protestants votant plutôt pour les socialistes. Le choix des enseignants est conflictuel, avec un paroxysme vers 1924. Le Cartel des gauches aurait pu rassembler, contre l’instauration d’écoles simultanées, mais les catholiques sont en première ligne.
L’auteur attribue la dimension du vote pour les autonomistes Rossé et Dahlet, en l’analysant principalement comme une victoire des catholiques : il minimise la popularité de l’autonomisme jusqu’au procès de Colmar.
Il estime ne pas pouvoir analyser avec précision les attentes des autonomistes, selon leur confession et la nature du choix des candidats. Rossé serait à la fois catholique, autonomiste, conservateur, anticommuniste de droite. Roos rallierait les protestants ruraux. L’idéologie héritée, selon lui, domine.
Mais l’auteur s’est-il lui-même émancipé de tout parti-pris ? On en doute en regardant la couverture, les repères chronologiques et le titre.