Images de la page d'accueil
Ajoutez un logo, un bouton, des réseaux sociaux
A quoi pourrait ressembler
un manuel d’histoire du Rhin Supérieur ?
A l’automne dernier, le député de Colmar Yves Hemedinger déposait une proposition de loi visant à généraliser l’enseignement de l’histoire régionale. Ce faisant, il déclenchait un débat entre les défenseurs de la culture alsacienne et ses contempteurs brandissant le risque du « repli sur soi ».
Unsri Gschìcht avait répondu à cette critique en rappelant que l’histoire de l’Alsace s’inscrit dans celle, plus large, du Rhin Supérieur (1). Enseigner cette histoire, en coordination avec les voisins allemands et suisses, permettrait de créer un « laboratoire » au niveau européen. Mais quels seraient les grands traits d’un manuel d’histoire du Rhin Supérieur ?
Les appartenances en question
Si un manuel d’histoire se doit de suivre une progression chronologique, les élèves ont aussi besoin de fils conducteurs qui traversent les époques. La question des sentiments d’appartenance semble devoir s’imposer comme l’un d’entre eux. Notre manuel imaginaire formule la problématique suivante : Comment les Alamans, qui ont évincés les Romains au Ve siècle sur les rives du Rhin Supérieur, sont-ils devenus au fil des siècles les composantes de trois nations différentes ?
La notion de pouvoir est un élément central de la réponse. Longtemps, des seigneuries laïques et ecclésiastiques ont bordé et même enjambé le Rhin dans le cadre du Saint Empire romain germanique, bientôt rejointes par des villes libres. Ces dernières l’emportent dans la partie suisse de notre espace, prenant part à une confédération qui se détachera du Saint-Empire. A l’ouest du Rhin, le territoire alsacien morcelé passe sous la coupe du puissant voisin français, qui se caractérise par sa volonté centralisatrice. Même morcellement côté badois, mais qui aboutit – par la volonté de Napoléon Ier – à l’unification en un grand-duché, lequel se fédère avec ses voisins allemands jusqu’à former avec eux un nouvel empire… qui se saisit de l’Alsace pour en faire, unie avec une partie de la Lorraine, un Reichsland pendant un demi-siècle. Plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, Bade et Alsace connaissent même une fusion, aussi courte que sinistre, dans un Gau nazi.
Affiche d’une exposition industrielle, 1895 (Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg). Alsaciens-Lorrains, Badois et Palatins étaient réunis à Strasbourg.
Les flux humains
Des différents flux, les déplacements humains sont les plus parlants. Ils peuvent avoir des proportions importantes. Une étude sur le repeuplement de l’Alsace après la Guerre de Trente Ans, qui s’est fait essentiellement à partir de la Suisse allemande et du Sud du Saint-Empire, témoigne de la cohérence historique de la région du Rhin supérieur. En 1793, les Alsaciens du Nord qui suivent la retraite de l’armée autrichienne face à l’armée française montrent combien les logiques nationales restent peu pertinentes à la fin du XVIIIe siècle. On les perçoit davantage en 1871-72, lorsque certains Alsaciens quittent – parfois pour Bâle – la région cédée à l’Empire allemand, puis en 1918-19, lorsque le Pays de Bade accueille nombre de « Vieux-Allemands » expulsés par les autorités françaises. Un siècle plus tard, les flux sont dictés par le prix de l’immobilier, qui conduisent des Français à Kehl, des Allemands tout le long du Rhin alsacien et des Suisses dans le Sundgau. Ils font déjà partie de notre histoire.
A côté de ces mouvements massifs, les parcours individuels reliant les différentes parties de notre espace et susceptibles d’être mis en avant sont innombrables, qu’il s’agisse d’itinéraires intellectuels ou de fuite devant les persécutions de toutes sortes.
Pas de nombrilisme rhénan
L’examen des flux nous conduit à un autre constat, certes évident, mais qui ne doit pas être perdu de vue dans la conception de notre manuel imaginaire : la région du Rhin Supérieur est fortement liée au reste du monde. Il faut la montrer comme voie de passage entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, comme terre d’affrontement mais aussi comme trait d’union entre la France et l’Allemagne, comme espace de coopération transfrontalière à l’ère de l’approfondissement de la construction européenne, comme un ancien foyer d’émigration et une nouvelle terre d’immigration au niveau mondial, comme un point d’arrimage de l’Europe à la mondialisation.
Enfin, et cela doit aussi être montré, la région du Rhin Supérieur est une périphérie pour les trois ensembles nationaux dont elle relève. La limite de la cohérence de notre cadre ne doit pas être cachée, notamment l’apparition et le renforcement d’une nouvelle frontière, linguistique, entre une Alsace de moins en moins germanophone et ses voisins rhénans.
Beatus Rhenanus par Tobias Stimmer, 1587 (Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg). Son parcours, entre Sélestat, Strasbourg, Bâle, Wildbad… est un bon exemple de mobilité interne à la région du Rhin Supérieur. Mais il s’est aussi rendu à Paris et à Augsbourg.
La réalisation d’un manuel d’histoire du Rhin Supérieur est-elle envisageable ? Les différences entre les systèmes éducatifs français, allemand et suisse ne permettent pas d’imaginer un livre scolaire remplaçant les manuels existants. Par contre, un site internet tri-national mettant à disposition du matériel pédagogique s’inscrivant dans les programmes respectifs paraît tout à fait faisable (2). Ce « manuel numérique », où l’enseignant piocherait selon ses besoins, serait particulièrement en phase avec les pratiques actuelles. Et voilà l’histoire régionale propulsée à la pointe de la modernité… avec un minimum de volonté politique.