L'histoire de l'Alsace à l'école
durant l'entre-deux-guerres
La République Française, qui a pris possession de l’Alsace en 1918, n’a pas banni tout enseignement de l’histoire régionale. Ainsi, en 1920 étaient publiés deux manuels consacrés exclusivement à l’histoire de la région. Mais le lecteur averti qui parcourt ces ouvrages est saisi d’effroi face à ce qui apparaît comme de véritables entreprises de manipulation. Analysons l’un d’eux.
L’Histoire de l’Alsace en vingt leçons
Entre les deux manuels, trois raisons nous incitent à choisir L’Histoire de l’Alsace en vingt leçons : c’est celui qui s’est le plus vendu, il est préfacé par le doyen de la Faculté des Lettres de Strasbourg et on connaît ses auteurs, à savoir Laurent Waechter et Léopold Bouchot[1]. Waechter est un Alsacien, né à Kindwiller en 1877. Instituteur, il devient directeur de la Präparandenschule de Lauterbourg. Nommé inspecteur primaire par les Français, il séjourne du côté de Nancy pour « perfectionnement professionnel ». C’est assurément là-bas qu’il rencontre Bouchot, directeur d’école, déjà auteur d’un manuel d’histoire de la Lorraine.
Le préfacier, Christian Pfister, est également un Alsacien, mais d’un type particulier : il avait quitté sa région natale en 1871 pour poursuivre ses études en France. Tout historien qu’il est, Pfister affirme ici très sérieusement que l’Alsace médiévale était « membre […] du royaume des Francs, même au temps où, nominalement, elle faisait partie de l’Empire germanique » ! On retrouve cette lecture biaisée dans l’ensemble du manuel, avec trois thèmes saillants.
Les ancêtres gaulois
L'Histoire de l'Alsace en vingt leçons utilise le passé gaulois pour affirmer le caractère ethniquement français des Alsaciens. Waechter et Bouchot écrivent : « Les différents peuples qui vinrent habiter cette région fertile se mélangèrent et formèrent le peuple gaulois, de même origine que tous les autres Français et bien différent des races germaniques fixées de l’autre côté du Rhin ».
Les auteurs ne font, bien sûr, pas état du fait qu’un peuple germanique – les Triboques – a recouvert la plus grande partie de l’actuelle Basse-Alsace, avec l’accord de Rome. Quant aux Alamans, qui chasseront les Romains et s’installeront définitivement dans le pays, ils sont décrits comme des envahisseurs aussi nuisibles qu’éphémères.
Couverture de la deuxième édition (1921).
Dans le Saint-Empire sans y être
Clovis et Charlemagne faisant partie du roman national français, le traitement des périodes mérovingienne et carolingienne ne pose pas de difficulté pour une lecture patriotique de l’histoire régionale. Une période plus délicate, à ce point de vue, arrive avec le partage de l’empire carolingien et le rattachement de l’Alsace à ce qui deviendra bientôt le Saint-Empire romain germanique.
Waechter et Bouchot évacuent rapidement le problème de l’appartenance au Saint-Empire en le décrivant comme « une agglomération de domaines de toutes sortes, un enchevêtrement de fiefs […] qui reconnaissaient plus ou moins l’autorité de l’empereur ». Les auteurs présentent l’Alsace comme vivant quasiment à l’extérieur de cet ensemble et estiment donc inutile de citer ne serait-ce qu’un seul nom d’empereur, alors même que la région fut un fief des Hohenstaufen et des Habsbourg.
La France protège, l’Allemagne opprime
Concernant la conquête par la France au XVIIe s., le manuel passe sous silence les événements militaires et parle d’une province « réunie […] non par la force, mais parce qu’elle s’est mise elle-même sous la protection du roi ». L’histoire politique est déroulée jusqu’à la cession de l’Alsace au second Empire allemand en 1871. Les auteurs dépeignent ensuite un « joug allemand » complètement délirant. Comment Waechter, avec sa belle carrière dans l’enseignement primaire d’Alsace-Lorraine, a-t-il pu prêter la main à l’élaboration d’un discours en contradiction totale avec son vécu ?
La deuxième édition du manuel contient une 21e leçon, sur l’Alsace après la Grande Guerre, où les auteurs se félicitent de progrès rapides dans l’acquisition de la langue française. La conclusion promeut l’ « assimilation ».
La question de la pratique
Au vu de ce manuel, l’entre-deux-guerres n’apparaît pas avoir permis la transmission d’une histoire régionale factuelle dans les écoles d’Alsace. Cependant, une histoire régionale et locale avait déjà été enseignée avant 1918 à l’école allemande. Or, des manuels scolaires allemands sont restés dans les bibliothèques. On peut supposer que certains instituteurs et élèves ont continué de les consulter.
Eric Ettwiller
Agrégé, docteur en histoire
Président d’Unsri Gschìcht
[1] Le second manuel d’histoire de l’Alsace publié en 1920 est la Petite histoire d’Alsace et de Strasbourg à l’usage des écoles, parue chez A. Vix et Cie à Strasbourg.