L’Epiphanie ou la fête des rois (Dreikönigsfest)
dans la vallée du Rhin
Après la fête de Noël, la fête religieuse la plus importante et la plus ancienne dans la vallée du Rhin, reste, jusqu’à nos jours, l’Epiphanie, encore appelée dans les pays germanophones « Fête des trois rois ». Comme beaucoup de fêtes religieuses, celle-ci plonge ses racines dans une histoire rhénane commune et prolonge souvent des traditions antiques reprises par les chrétiens installés avec les Romains le long du Limes (frontière de l’empire romain).
A l’origine, les saturnales romaines
Les saturnales étaient, durant l’Antiquité romaine, une fête en l’honneur du dieu Saturne. Elles se déroulaient dans la semaine du solstice d’hiver. Durant cette fête, on assistait à un « retournement social », où était désigné le « roi du jour » à l’aide d’une fève placée dans une galette. Durant une journée, il disposait du pouvoir d’exaucer tous ses désirs. Ce « roi du jour » était très souvent un esclave, qui retournait le jour suivant à sa condition servile, voire était mis à mort. De cette fête païenne préchrétienne nous est restée la tradition de la galette des rois (Dreikönigskuchen).
Par la suite, la fête des saturnales sera absorbée par le christianisme qui en fera la fête de l’Epiphanie, la manifestation de Jésus enfant aux rois mages venus l'adorer. En lien avec cette nouvelle signification est apparue, surtout dans les régions rhénanes, la tradition des Sternsinger (les petits chanteurs de l’étoile), ces enfants qui font le tour des maisons pour apporter la bénédiction de Noël – en traçant sur les linteaux des portes d’entrée les lettres CMB pour Caspar, Melchior et Balthasar – et se voir gratifier de cadeaux. On peut voir là aussi le prolongement d’une tradition romaine, puisque lors des saturnales, les pauvres et indigents faisaient le tour des maisons, où ils se voyaient offrir diverses friandises ou autres présents.
L'adoration des rois mages dans le Hortus Deliciarum (XIIe siècle).
Une fête religieuse importante dans le cadre du Saint Empire romain germanique
L’Alsace faisant partie de la vallée rhénane, on y retrouve naturellement les traditions de l’Epiphanie que nous venons d’évoquer. Le Hortus Deliciarum d’Herrade de Landsberg, réalisé au XIIe siècle, témoigne de cette fête devenue chrétienne et de son importance. En 1164, l’archevêque de Cologne, archichancelier du Saint-Empire romain germanique pour l’Italie, organisera à la demande de l’empereur Frédéric Barberousse – le plus célèbre des Hohenstaufen, dont Haguenau était une des principales résidences – la translation des reliques des rois mages de Milan à Cologne. Cet acte va acquérir une très haute importance politique. En effet, la présence de ces reliques légitimera le pouvoir des rois de Germanie*, couronnés par les archevêques de Cologne et de Mayence et stabilisera la fête des rois mages comme fête centrale dans les régions rhénanes.
Un temps fort dans le catholicisme rhénan contemporain
La fête de l’Epiphanie – qui se déroule le 6 janvier – reste aujourd’hui une des fêtes importantes du catholicisme rhénan. Ainsi, la tradition des Sternsinger est encore très vivace dans le Sud-Ouest de l’Allemagne. En Alsace, le tirage des rois – attesté par des sources du XVIe siècle – conserve des couleurs particulières mais c’est autour de galettes à la mode française que les Alsaciens se réunissent aujourd’hui. La tradition typiquement rhénane du Sternsingen s’est quant à elle quasiment éteinte dans notre région dans les années 1930, comme le regrettait alors le folkloriste alsacien Joseph Lefftz. L’historien local Tim Moser tempèrera pour la Moselle : « Erfreulicherweise ist das Sternsingen in Lothringen noch weit verbreitet » (Elsassland, Lothringer Heimat, 1936).
Mais le Sternsingen n’avait pas dit son dernier mot en Alsace ! A Wingen-sur-Moder, par exemple, une équipe de jeunes servants de messe ressuscitait en 1952 cette tradition « qui avait encore existé avant la dernière guerre » d’après Georges Klein (Pays d’Alsace, 1977, II/III). Heureux signe des temps marqués par la redécouverte de nos traditions germaniques, les Sternsinger réapparaissent dans plusieurs communes alsaciennes ces dernières années, comme par exemple à Matzenheim. L’archidiocèse de Strasbourg est un acteur important de ce réveil. Les tournées des enfants se font désormais dans un objectif caritatif, comme c’est le cas en Allemagne, d’ailleurs.
Jean-Michel Niedermeyer
Professeur d'histoire-géographie bilingue
Administrateur et conseiller scientifique d'Unsri Gschìcht
*Le futur empereur est d’abord couronné comme roi de Germanie, ou roi des Romains, avant son couronnement comme empereur à Rome.