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Mémoire alsacienne-lorraine des guerres
franco-allemandes après 1870
« Français de cœur sous uniforme allemand ». C’est en ces quelques mots que s’exprime la problématique mémorielle qui est lancée dès 1871. Cette mémoire, qui se veut une sorte de définition d’une « nouvelle identité » alsacienne conditionne jusqu’à nos jours. Elle s’inscrit plus particulièrement dans celle des soldats alsaciens-lorrains côté allemand dans des conflits franco-allemands mondiaux majeurs après 1870 ; en d’autres termes les Feldgrauen et les Malgré-Nous.
1900-1936 : la mémoire rejetée des Feldgrauen
1870 a été un choc émotionnel. Les gravures en témoignent. Elles mettent en scène une construction mémorielle très émotionnelle : la « province perdue » et l’Alsacien-Mosellane[1], patriote français de cœur. Ce sentiment sera porté par une communauté d’optants à Paris et dans la communauté d’intellectuels et d’artistes d’origine alsacienne et mosellane. Il s’appuiera sur une IIIe République revancharde. Dans ce contexte, l’image des Feldgrauen ne pouvait être que profondément ternie. Un sommet de ce discrédit est atteint par Hansi. Tout contribue à effacer les traces allemandes. Le souvenir des Feldgrauen rentre dans l’oubli, du moins le non-dit. Ainsi, le maire de Colmar restera à peine allusif concernant les Feldgrauen lors des festivités du 11.11.1919 : « Hommage à ceux qui ne peuvent partager notre bonheur. Pauvres soldats de la vieille Alsace, qui avez obligés de vous battre contre la patrie de votre cœur et de vous immoler pour une cause qui n’était pas la vôtre ». Dans les monuments ce déni deviendra flagrant. On pourra même, selon les communes, voir apparaitre un coq gaulois ou une Jeanne D’Arc. A partir des années 30 apparaitront les plus neutres « A nos morts ».
La mémoire française : "La France signe" (L'Illustration, 25.02.1871, la signature du traité de Francfort).
1936-1989 : la dilution dans la mémoire nationale
Pour beaucoup de ces Feldgrauen et Malgré-Nous, mais aussi des Alsaciens-Mosellans, cette nationalisation française de la mémoire contribuera à repousser toute image mémorielle apparaissant comme germanophile. Le poète Malgré-Nous André Weckmann décrit parfaitement ce sentiment qui permet de nier la mémoire allemande tout en développant exclusivement une mémoire française de l’Alsace. « Non, nous ne voulions plus marcher ainsi / qu’eux nous commandent: / reviens dans l’empire toi le frère de langue allemande ! / Et donc nous avons coupé / mon fils / ce qui était avant / histoire et âme / mémoire et langue / et nous l’avons brûlé à l'automne / avec le foin rassis » (Amerseidel, Strasbourg, 1975, traduction libre JMN)
Cet état d’esprit de la mémoire française nationalisée, porté jusqu’à nos jours par les associations de vétérans et d’anciens combattants, pratiqueront une quasi amnésie du passé militaire de l’Allemand avec l’idée de faire de la mémoire un élément de consensus. S’agit-il vraiment d’un travail de mémoire ?
La mémoire alsacienne : le monument aux morts de Strasbourg (1936), une mère éplorée avec ses fils sans uniforme.
Depuis 1990 : (re)découvertes et fluctuations
Beaucoup de monuments aux morts auront été soit détruits, soit remplacés, soit germanisés durant l’occupation nazie précédente, dès 1940-1945. Par contre, les constructions européennes et mémorielles auront l’avantage de réveiller des échanges non moins passionnés.
„Ich hatt' einen Kameraden“ (J’avais un camarade) ? Ce chant militaire et encore aujourd’hui en usage dans l’armée allemande lorsqu’elle veut accorder des honneurs particuliers a accompagné avec beaucoup d’émotions et de solidarité le sort des Feldgrauen durant la première guerre mondiale. Le texte a été composé en 1809 par le poète allemand Ludwig Uhland. Ce chant met en scène deux soldats. Ne sommes-nous pas arrivés ici à un message ultime des Feldgrauen, un chant de pacifisme permettant de dépasser les divisions intérieures de l’être alsacien[2] ?
Jean-Michel Niedermeyer
Professeur d'histoire-géographie bilingue
Administrateur et conseiller scientifique d'Unsri Gschìcht