Où va l'Alsace ? Chroniques intemporelles, 1990-2009
Bernard Reumaux ; préface de Richard Kleinschmager ; La Nuée Bleue, 2018
Recensé par Dominique Rosenblatt
La préface relativise une identité alsacienne censée dépassée par les évolutions du monde. Les chroniques proposées prétendent dégonfler des clichés concernant cette Alsace se croyant victime et exceptionnelle, mais qui ne doit pas être « la chasse gardée d’élus locaux, et d’une poignée de militants réchauffant des frustrations d’un autre âge » (p.8). Ces gens entretiennent le malaise alsacien, alors que les Alsaciens devraient cesser de se lamenter, et se projeter dans les nouvelles solidarités contemporaines, dit-il.
Égrainant des chroniques semestrielles, de 1990 à 2009, l’auteur conteste certains aspects, comme celui d’une Alsace-réussite, qui ne colle pas avec l’hétérogénéité de la population. Alors que les clivages alsaciens sont légion, l’âme alsacienne se replierait dans la floraison des bars, où se célèbre la mélancolie du paradis perdu. Son attractivité touristique lui évitera peut-être la sclérose. Car le malheur ne vient pas de Paris : ce sont les Alsaciens qui sont en panne de projet, affirme Reumaux.
En 1997, l’auteur célèbre sa ville natale, Mulhouse, qui exprime son dynamisme à travers la commémoration de son rattachement à la France. Mulhouse, non repliée sur un âge d’or, Mulhouse montre la voie du renouvellement, car elle a toujours su intégrer. C’est l’idée centrale.
Au fil des chroniques se découvre un projet personnel pour région prétendument sclérosée. La critique s’appuie sur 1995, dont les élections donnaient 25,4% à Jean Marie Le Pen. L’explication de l’auteur est commode : l’extrême-droite, ne serait-ce pas l’autonomisme, qui se démarque du jeu politique national, qui porterait des revendications ethniques ?
Cet autonomisme, qui s’exprimerait dans ce vote réactionnaire, ne vient-il pas d’un décalage entre la mythologie alsacienne et les frustrations contemporaines ? De l’admiration des succès allemands, confrontés au désordre français ? Du manque de leviers décisionnels locaux, qui inhibe le développement de la coopération transfrontalière ? Le succès de Le Pen tiendrait-il à une forme de pangermanisme ? C’est la construction identitaire que l’auteur soupçonne de plébisciter Le Pen en Alsace. Mais n’est-ce pas une explication simpliste ?
Ce vote manifesterait le repli identitaire d’une Alsace qui se normalise, se folklorise, se mercantilise, qui n’intéresse plus. Qui relève de la psychanalyse. Son ressassement de l’histoire locale, à coup de témoignages, irait de pair avec une suspecte recherche des origines, et une détestation des altérités : haro sur les gens « de l’intérieur », le Schwob, l’étranger ! Le Rhin ouvrirait bien l’Alsace vers le monde, mais voilà : le « repli » empêche de voir un peu plus loin.
Mais voilà : au lieu de se détourner de la France, l’Alsace devrait se réinventer. Mais elle est incapable d’autocritique, déclare Reumaux, et, malgré de grands hommes, son particularisme qui n’a guère qu’un siècle, est en voie d’extinction. L’Alsace n’a jamais eu de pouvoir régional, et c’est son ancrage français dans une culture germanique lui donne sa spécificité. Aujourd’hui, il lui faut un esprit collaboratif communal et régional, et un nouveau pacte national. Réinventer l’Alsace, c’est l’ouvrir, dépasser le passé.
L’auteur se revendique d’une alsacianité contemporaine, ouverte aux autres et au monde. Sa subjectivité le situe hors des ressassements de ce qu’il nomme commodément « repli identitaire ». Toutefois, le projet qu’il appelle de ses vœux reste évasif. Son leitmotiv, au fil des numéros de la revue, s’il appelle une « âme alsacienne » généreuse et accueillante, n’en profile pas le chemin. Par contre, ne sème-t-il pas le doute en amenant de nouveaux préjugés ?