Eine Liebe zwischen zwei Fronten
Maria W. Peter ; Lübbe, 2020
Recensé par Michel Bentz
Eine Liebe zwischen den Fronten est un roman historique plutôt typique du genre avec, comme son titre l’indique, une histoire d’amour entre deux personnages appartenant à des camps supposés opposés. La romance sert ici de fil conducteur à une narration très documentée des événements autour de la guerre franco-prussienne de 1870.
Si l’intrigue comporte quelques rebondissements improbables, elle est néanmoins bien construite, évitant, comme c’est le cas dans maint roman historique, les longs développements didactiques auxquels la narration ne sert que de prétexte. Au contraire, ici la trame narrative de la fiction incorpore habilement et chronologiquement la succession des faits historiques :
- 15 juillet 1870 : retrait de la candidature de Léopold von Hohenzollern au trône d’Espagne et dépêche d’Ems (chapitre 1)
- 17 juillet : mobilisation du côté allemand (chapitre 2)
- 23 juillet : arrivée à Marseille d’un contingent de tirailleurs algériens (chapitre 4)
- 2 août : début des combats à Sarrebruck (chapitre 10)
- 6 août : batailles de Woerth et Reichshoffen (chapitre 11) et de Spicheren (chapitre 12)
- 16 août : début du siège de Strasbourg par des régiments badois et wurtembergeois et début des combats de Gravelotte (chapitre 17)
- 18 août : défaite des troupes du maréchal Bazaine (chapitre 18)
- 20 août : début du siège de Metz (chapitre 19)
- 31 août : début de la bataille de Sedan sous les ordres des princes de Prusse et de Saxe d’une part et du maréchal de Mac-Mahon, d’autre part. (chapitre 20)
- 1er septembre : fin de la bataille de Bazeilles (chapitre 22) et capitulation de Napoléon III (chapitre 25)
- 4 septembre à Paris : prise du Palais Bourbon par les communards et fuite de l’impératrice Eugénie (chapitre 27)
- 7 octobre : départ de Gambetta en ballon (chapitre 30)
- 28 octobre : capitulation de Metz (chapitre 31) et début de la bataille du Bourget (chapitre 32)
- 18 janvier 1871 : proclamation de l’unité allemande à Versailles (chapitre 51)
- 26 février : signature à Versailles des préliminaires de paix prévoyant la cession de l’Alsace-Lorraine (chapitre 52)
- 1er mars : défilé des troupes allemandes à Paris (chapitre 53)
- 18 mars : soulèvement des communards à Montmartre. La troupe fraternise avec les insurgés qui exécutent le général Lecomte. Drapeau rouge sur l’hôtel de ville (chapitre 54)
- 26-28 mai : exécution de communards par l’armée et d’otages par les communards (chapitres 59 à 64)
En marge du conflit franco-prussien, la montée des mouvements républicains à Paris est également évoquée à travers l’un des personnages engagé dans un corps franc : „Es geht nicht um den verfluchten Empereur, es geht um das Volk und darum, wie es sich von allem befreit, was es knechtet“ (Ce n’est pas l’Empereur que nous défendons, c’est le peuple et nous voulons qu’ils se débarrasse de tout ce qui l’asservit).
Les séquences descriptives, dans leur précision, semblent être le résultat d’un réel travail de recherche historique. L’auteure cite d’ailleurs ses informateurs en fin d’ouvrage (des universitaires allemands, des directeurs de musées allemands et français).
Le roman compte cinq personnages de premier plan : Madeleine Tellier et son frère Clément, enfants d’un médecin messin, Otto von Gerlau également médecin et fiancé prussien de Madeleine, Karim Ben Aziz, tirailleur algérien et sa sœur Djamila, servante dans la famille Tellier. Le nombre et le choix fait par l’auteure d’un déroulement strictement chronologique, aboutit à de très fréquents changements de décor et de focalisation. Le lecteur s’en trouve balloté au gré des pages d’un personnage à un autre à un rythme effréné.
La très riche galerie de personnages secondaires pour l’intrigue fait entrer dans l’action, outre des héros fictifs, plusieurs personnages réels tels que Otto von Bismarck, Wilhelm I., roi de Prusse et son fils Friedrich Wilhelm, Eugénie de Montijo (épouse de Napoléon III), Bazaine, Mac-Mahon, Thiers, Gambetta. Il est, par exemple donné au lecteur d’assister, par l’entremise du médecin militaire Prussien Paul von Gerlau et dans le cadre du palais de Versailles, à une vive discussion (fictionnelle mais néanmoins plausible) entre le Roi de Prusse et son fils, lequel émet des doutes quant à l’opportunité pour son père d’imposer sa férule aux Etats d’Allemagne du sud, tandis qu’un Bismarck sûr de son coup se tient à l’écart tirant tranquillement sur son cigare (p. 428-430).
Certains lecteurs pourront s’offusquer du traitement fort peu amène de l’épisode de la Commune de Paris où communards et bonapartistes sont renvoyés dos pour leur cruauté et leur fanatisme.
On pourrait aussi reprocher à l’auteure de passer un peu vite sur la composante germanique de la Moselle (laquelle est appelée Lothringen) : « Ce n’est que dans une étroite bande de territoire proche de la frontière que la population utilise un dialecte basé sur l’allemand. » Mais il est vrai que le personnage qui s’exprime ainsi appartient à la bourgeoisie messine.
Venons-en au point de vue de l’auteure. Dans une postface, elle se présente comme Sarroise aux racines françaises et avoue que les historiographies contradictoires et le déchirement entre l’Allemagne et la France, ainsi que la quête souvent douloureuse de loyauté et d'identité ont marqué son histoire personnelle et familiale. Ceci transparait très bien dans le roman et en fait tout l’intérêt. En effet, le lecteur comprend vite qu’il tient entre ses mains un plaidoyer pacifiste et pour la compréhension entre les peuples par-delà l’atavisme belliciste supposé de leurs dirigeants.
Ainsi Madeleine Tellier qui se porte volontaire pour soigner sans distinction les soldats blessés prussiens et français s’exclame : „Die Preußen, die Bayern, die Franzosen, Lothringer, Elsässer und auch die Truppen aus den Kolonien (…) sie werden alle durch Kugeln durchlöchert, in Stücke gerissen und zerfetzt werden. Zermalmt in diesen absurden Krieg um die verfluchte Frage, wer in Spanien den Thron erben wird" (Tous autant qu'ils sont, Prussiens, Bavarois, Français, Lorrains, Alsaciens ou coloniaux, seront criblés de balles, mis en pièces, déchiquetés et broyés. Tout cela dans cette guerre absurde pour la succession au trône d'Espagne) (p. 117). L’auteure décrit également à de multiples occasions la boucherie que constituaient les batailles au chassepot, baïonnette et canon et s’épanche sur les conditions sordides régnant dans les lazarets.
L’assaut des troupes françaises à Sarrebruck, le 5 Août 1870, inspire à une vieille femme le commentaire désabusé : « Schon immer war dat bei uns hie so, do an der Saar. Mal hann wir zu dem einem Land, dann zu dem anderen gehört. Und imme wenn’s Krieg war, hann wir dazwischen gestann. Schlimm dat es wieder so weit is“ (Ça a toujours été comme ça, ici, en Sarre. Comme nous avions appartenu tantôt à un pays, tantôt à l'autre, chaque fois qu'il y avait une guerre, nous nous retrouvions entre deux chaises. Et voilà que ça recommence) (p. 86). De même, après les affres de la bataille de Sedan, le médecin Prussien Paul von Gerlau s’interroge sur l’avenir des deux nations : „Paul fragte sich ob die unzähligen Gräuel von beiden Seiten jemals von einem Gericht aufgearbeitet werden oder dauerhaft wie ein Stachel des Hasses im Fleisch der beiden Völker stecken und eitern würde" (Paul se demanda si les horreurs innombrables commise par les deux parties seraient un jour portées devant un tribunal ou si la haine resterait à jamais plantée comme un dard purulent dans la chair de chacun des deux peuples).
Quant à la détresse des Lorrains face à la cession de Metz à l’Empire Allemand, elle est habilement mise en miroir avec celle des Algériens colonisés : « Je sais ce qu’on ressent lorsque dans les rues dans lesquelles on a grandi résonnent des bottes de soldats étrangers. Lorsqu’ils vous prennent ce qui ne leur appartient pas sans aucun égard pour votre culture, vos traditions et votre foi. », explique Djamila (p. 532).
L’ouvrage est utilement assorti d’une postface de l’auteure, d’un glossaire des termes historico-politiques et géographiques clés, d’une traduction des termes arabes et français dont le roman est parsemé, d’une liste des personnages et d’un remerciement avec mention des personnes que l’auteure a consultées dans ses recherches.