Grand-Papy Malgré Lui
Stéphane Dangel, avec des illustrations de Claude Lapointe, Editions Le Verger, 2005
Recensé par Michel Bentz
Dans une « malle aux trésors » du grenier de sa grand-mère, le jeune héros découvre une photo de son grand-père dans un curieux uniforme arborant des doubles Z sur le col. L’enfant comprend peu à peu, au rythme des révélation hésitantes de sa grand-mère, que son grand-père avait été soldat de la Wehrmacht, selon les mots de la grand-mère un soldat de l’armée des « salamis » qui avaient battu les « soldats bonbons » (sic). Mais l’enfant, qui avait entre-temps vu un film sur la deuxième guerre mondiale, en savait déjà plus que ce que sa grand-mère voulait bien lui en révéler. Après le décès de l’aïeule, l’enfant fait part de ses doutes au curé, lequel joue habilement l’intermédiaire entre l’enfant, ses parents et son enseignant.
L’enseignant emmène alors sa classe au musée (de toute évidence le mémorial de Schirmeck) et y improvise une leçon d’histoire qu’il faut qualifier au minimum de maladroite puisque plutôt que d’expliquer à ses élèves l’enjeu idéologique du 2e conflit mondial, à savoir un conflit entre des forces démocratiques et une Allemagne sous emprise fasciste, le maître le réduit à une guerre entre deux langues et cultures. « Ils (les Allemands) ont dit que tout le monde devait parler la même langue. Evidemment, cette langue c’était la leur, pas la nôtre », plus loin, « C’étaient eux qui décidaient de la façon dont on s’habillait. » Dans le cours du récit, seul le discours d’un ancien Malgré-lui, sauve la mise en relatant son incorporation en quelques mots sobres : « C’était leur guerre, mais les soldats allemands nous y emmenaient (…) Ce n’était pas l’envie de refuser qui nous manquait (…) Si ton Grand-Papy n’avait pas obéi, Grand-Mammy et ton Papy auraient été déportés. »
Le récit est accompagné d’un chapitre intitulé « Ce que j’ai appris au musée » : Il s‘agit d’une chronologie historique —démarrant malheureusement en 1870— qui annonce « En 1871 l’Allemagne gagne la guerre et elle garde L’Alsace et la Moselle comme trophées. Les Alsaciens et Mosellans deviennent allemands. Tout part de là. ». Un peu plus loin, enfin, est évoquée la Shoah : « En ce temps-là, les allemands étaient dirigés par des chefs très cruels. On les appelait les nazis. Ils détestaient ceux qui ne leur ressemblaient pas. Ils les détestaient au point de vouloir les tuer. » La chronologie se termine par l’année 2004 : « L’Europe a fait la paix avec elle-même. Ses habitants ont décidé de vivre libres et unis, en respectant les différences de chacun. Ça lui va bien, à l’Europe : Et cela me plait, à moi aussi. »
Le livret de 64 pages, publié à l’occasion de l’ouverture du Mémorial d’Alsace Moselle, se lit facilement d’une traite grâce à un fil narratif très efficace soutenu par de belles illustrations. S’il faut également souligner l’effort de pédagogie de ce petit opuscule, on se gardera cependant de le confier sans explications à des enfants. On y retrouve en effet des clichés xénophobes à la Hansi : « Chaque fois qu’ils ont gagné la guerre, ils se sont installés chez nous. » et un grossier travestissement de l’histoire culturelle régionale : « leur langue qu’ils écrivaient avec des lettres bizarres, toutes grosses, qui partaient dans tous les sens et formaient des mots impossibles à lire ». L’auteur semble ignorer que dans l’entre-deux guerres, les Alsaciens lisaient massivement la presse de langue allemande, écrivaient, chantaient et priaient essentiellement en allemand. Tout juste concède-t-on : « Gand-Papy, lui, savait ce qu’ils voulaient dire, à force de vivre à côté d’eux (des allemands). »