Alsaciens et Lorrains en Algérie, Histoire d'une migration : 1830-1914
FISCHER, Fabienne, Editions Jacques Gandini, 1999, 174 pages.
Recensé par Dominique Rosenblatt
Fabienne Fischer déconstruit la légende d’une émigration alsacienne massive et patriotique, après 1870. La première partie analyse les causes d’une présence ancienne, la seconde soupèse les fondements du mythe, la troisième révèle l’absence de dynamique communautaire de ces migrants. La conclusion récapitule le lien entre émigration et colonisation française en Algérie.
L’affectation de concessions gratuites en Algérie se développe en fonction de l’occupation militaire, et promeut un mouvement initial double de celui postérieur à 1871, qui le continue. Cette minorité, de moins de 34 000 membres depuis la colonisation, fond rapidement son identité culturelle dans celle des « Français d’Algérie ».
Les premières et laborieuses implantations sont liées à des traditions, comme les émigrations religieuses du XVIIème siècle, de démographie, en raison du surpeuplement en Alsace, vers 1850, et de survie économique, dans un contexte de migration rhénane vers l’Amérique. Le gouvernement français, parfois soutenu par des notables locaux, essaie de détourner ce flux de l’Amérique vers l’Algérie.
Après une période anarchique après 1830, l’Algérie est divisée en départements, mais la politique de peuplement fluctue au gré des gouvernements. Un fort quota de colons alsaciens et lorrains, allemands et helvétiques, est attesté dès 1832. Des villages précaires, parfois fortifiés, sont installés, sous la protection de l’armée.
Sous la IIe République et le Second Empire, des migrants profitent d’incitations. Vers 1850, avec un nouveau régime de concessions, ce sont des éléments homogènes qui constituent des villages. Au bout des quarante premières années, les émigrants alsaciens et lorrains sont disséminés, principalement dans l’Algérois, lieu des premières implantations.
Il y a une grande différence entre le terrain et les circulaires ministérielles. L’administration privilégie les jeunes gens vigoureux et célibataires, ou avec peu d’enfants, déjà grands. Les Alsaciens pauvres représentent 70% de tout le flux. Mais sur place, ils ne s’enrichissent guère, et peu restent agriculteurs. Ils contractent au début des unions endogames, mais assez vite se diluent dans la population générale.
Après 1871, la reprise de l’immigration sert les desseins nationalistes de la France. Un mythe est créé, qui permet, en Algérie, de garder les optants dans la sphère d’influence française. Un décret de 1871 offre des conditions théoriquement attractives aux « Français d’origine européenne », mais elles sont hasardeuses sur place, faute de terres confisquées aux autochtones, et de périodes d’arrivée compatibles avec l’agriculture.
Le peuplement correspond à une colonisation politique. L’Etat mate les révoltes, séquestre, achète ou exproprie des terres pour la colonisation, en Algérois, en Kabylie, en Constantinois. Les implantations sont stratégiques, en théorie, mais il y a beaucoup d’erreurs de méthode et d’inégalités entre les colons.
Le second peuplement, bien que les chiffres soient incertains, est un succès. Certaines familles ont réussi, au prix de nombreux sacrifices liées à l’incurie, et vivent souvent en bonne entente avec les autochtones.
La colonisation alsacienne, qui reprend, en 1871, génère des frictions entre la France et l’Allemagne. Environ 5000, en 1871, optent pour la Légion. La France favorise les établissements et propose des mesures dérogatoires ; les départs désavantagent l’Allemagne, au fur et à mesure que la guerre de 1914 se rapproche.
Il y a donc deux vagues migratoires, dont les migrants s’intègrent rapidement au monde algérien, en raison de leur dispersion, voulue par les autorités. Toutefois, les groupes établis appellent de préférence leurs compatriotes, même s’ils constituent de petites minorités dans un monde cosmopolite. Les traditions ne sont ni faciles à maintenir ni à transposer, malgré l’action des sociétés alsaciennes.
Calvinisme, franc-maçonnerie et libéralisme amènent des industriels du textile, comme les Dollfus, Schlumberger, Koechlin, qui trouvent en Algérie une alternative au coton américain. Dans les années 1850, des primes gouvernementales soutiennent les colons, et les industriels investissent jusqu’en 1870.
Un Dollfus, optant, développe une cité, rebaptisée Dollfusville. Un autre, développe l’industrie du liège à bouchons, d’Algérie vers Riedisheim. Un troisième devient viticulteur, autant d’exemples de capitalisme paternaliste. On peut donc distinguer l’émigration des pauvres, affectés par le gouvernement au peuplement, de celle des hommes d’affaires, comme Nessel, qui exploite le lignite.
L’émigration « patriotique » a donc une dimension moindre qu’en métropole, malgré des tentatives pour le pérenniser. L’Etat, après la cession, par la loi « des 100 000 hectares », pousse des Alsaciens, à condition qu’ils restent français, vers une implantation en Algérie. L’instrumentalisation de ces pauvres gens, présentés comme patriotes, alimente le nationalisme et l’esprit de revanche. A l’inverse, certains profiteurs, détournent, derrière un patriotisme de circonstance, les contradictions de cette politique.
Des comités d’aide entre Alsaciens exilés se forment, et les dernières, entre 1914 et 1918, secourront des réfugiés. A partir de 1925, en lien avec le mythe, des communes sont rebaptisées Metz, Colmar, Belfort, Chèvrement, Horbourg, Landser, Flaxlanden, Bitche, Eguisheim, etc… et les cigognes attirées sur les toits renforcent l’illusion.
Une littérature abondante généralise des réussites particulières, rapportées par le témoignage partial et romancé de Georges Delahache (Strasbourg, 1936), sans égard pour la masse des miséreux et des perdants, que d’autres livres présentent plus honnêtement.
Pour bien des rapatriés d’aujourd’hui, ce passé est nébuleux, mais le mythe vivace. Les traces, effacées par la révolution algérienne, sortent des mémoires.
La régulation démographique alsacienne s’est faite, deux fois plus importante avant 1870 qu’après, vers l’Algérie, mais son instrumentalisation politique est avérée. La colonisation, conduite selon une logique administrative, n’a pas fait de l’Algérie cet Eldorado rêvé.
Une bibliographie française, complétée par un vaste recours aux archives des départements concernés, complète le dossier.