NATIONALISTES ET NATIONAUX (1870 -1940)
GUILLEMIN Henri, Gallimard, coll. Idées, 1974
Recensé par Dominique Rosenblatt
La thèse générale de Guillemin consiste à démontrer que la politique extérieure de la France, sur la période, est dictée principalement par des considérations de politique intérieure, autour des intérêts des possédants servis par la classe politique.
Les chapitres sont denses et fouillés, l’ouvrage comporte de nombreuses notes de bas de page, mais aucune bibliographie générale, et reste avant tout un témoignage ou une prise de position. Pour notre part, nous allons nous intéresser aux grandes lignes, dans la mesure où il est question de nos régions.
Treize chapitres mettent en lumière la manière dont l’auteur relit les événements à la lumière de son projet, qui est de montrer l’évolution de la droite française, de pacifiste en 1870, vers un nationalisme guerrier à usage interne en 1914, puis comme un moyen de continuation de sa suprématie politique. Avec l’avènement du Front populaire, la droite redevient pacifiste, et résiste à la guerre jusqu’à l’entrée en scène de Pétain, et au retour du nationalisme.
L’auteur rappelle d’abord que la guerre d’agression de 1792 était motivée par la politique intérieure. 1870 peut être lu également comme un objectif de victoire destiné à renforcer l’unité nationale et à mieux assoir le pouvoir de Napoléon III.
Le patriotisme présente l’avantage de domestiquer les pauvres et de les détourner de leurs intérêts sociaux. Les instituteurs exaltent la patrie, grâce au roman national selon Lavisse, une histoire cocardière, tandis que Jules Ferry soutient la dimension économique de la colonisation. Bismarck soutient cette expansion coloniale, mais augmente la conscription, sans vouloir la guerre.
L’auteur montre que la droite devient alors chauvine, ce qui facilite l’encadrement des masses. L’affaire Dreyfus permet de relancer la haine anti allemande. Le gouvernement cherche à encercler l’Allemagne avec l’appui des Russes et renforce le patriotisme. En 1912, le service militaire est porté à trois ans, c’est le moment de la relance de la thématique désuète des « provinces perdues ».
Mais les élections de 1914 rendent la guerre envisageable, la responsabilité en sera indûment imputée à l’Allemagne dans les manuels scolaires, et la presse tient le même discours. Malgré les efforts pacifistes de Jaurès, elle prépare les esprits.
L’auteur rappelle que le président Poincaré veut la guerre, il peut s’appuyer sur la propagande de 1912 et 1913 sur la question d’Alsace-Lorraine, et va habilement faire en sorte que ce soit l’Allemagne qui la déclare. Le conflit permettra d’éluder les problèmes intérieurs : les revendications sociales ou fiscales.
L’auteur souligne les profits colossaux qui se font au sortir de la guerre, malgré la dette de l’Etat aggravée encore par le versement des dommages de guerre. « L’Allemagne paiera ! » est le slogan. Mais les fournisseurs de guerre ont fait des profits colossaux. Les élections de novembre 1919 donnent une Chambre très à droite, les candidats ayant surfé sur le thème de la reconquête de l’Alsace-Lorraine. Cette situation – et l’occupation de la Ruhr - rendent impossible la réconciliation avec l’Allemagne. Par contre, alors que l’inflation enrichit les spéculateurs, l’agitation sociale, en Allemagne, prépare le nazisme.
L’auteur consacre tout un chapitre à montrer comment le Cartel des gauches manie le nationalisme pour détourner les esprits des problèmes intérieurs. Arrive néanmoins le Front populaire, mais les puissants agissent pour que la droite xénophobe et antisémite prospère.
L’auteur rappelle que Hitler, au pouvoir depuis 1933, dans son Mein Kampf, accuse la France d’avoir « volé l’Alsace-Lorraine ». Néanmoins, en 1938, la droite ne veut pas la guerre. La « drôle de guerre » est une forme d’attentisme, mais les crédits sont votés, ce qui n’empêche pas des industriels de continuer à fournir indirectement le marché allemand.
Dans un chapitre très détaillé, l’auteur montre comment le maréchal Pétain manœuvre pour arriver au pouvoir. Ministre le 17 mai 1940, il est chef d’Etat le 10 juillet. Son but est d’éviter un soulèvement du type « Commune de Paris », de 1871, et d’abolir la République.
La perte de l’Alsace-Lorraine une fois imputée au Front populaire, la dramatisation du spectre de la famine imminente sert à éviter tout soulèvement. Se présenter comme le sauveur de la France sera une manière de mettre à bas la République, remplacée par le régime de Vichy, ce qui mettra un terme aux revendications sociales.
L’auteur conclut son travail en rappelant les grandes étapes de la prise en main du pouvoir par les affairistes, du 18 brumaire 1799 au 10 juillet 1940, en passant par 1848, 1851, le 8 février 1871 et le 26 août 1914.
Reste à approfondir ces hypothèses proposées par un intellectuel catholique, qui s’en prend aux mythes français[1], sans travailler comme un historien.
[1] Henri Guillemin, intellectuel réfractaire - La Vie des idées (laviedesidees.fr)