ALSACE DANS LA TOURMENTE :
documentaire diffusé sur FR3 le 8 novembre 2023
Recensé par Eric Ettwiller
Quelques erreurs ont été commises, quelques écueils n’ont pas été évités, nous y reviendrons. Néanmoins, dans l’ensemble, une fois passés les clichés de l’introduction, le ton est assez juste, et même sensible. Les témoignages s’équilibrent assez bien et la plupart des interventions sont intéressantes, notamment celles de Jean-Louis Spieser et de Christophe Woehrle. Le cadre dans lequel on pose l’Alsace est celui de la France, avec le concept éculé de « frontières naturelles » (03:45), qui enlève à la région sa dimension rhénane, absolument pas évoquée dans le documentaire. La personnalité alsacienne a pu cependant s’exprimer : « On ne veut plus être français ni allemand, on veut être nous-mêmes » (Wenger, 14:48). La dernière intervenante parle même d’une « nation » alsacienne, avant de nuancer par un « presque » (Mellon, 01:30:47).
L’alsacien aussi a été évoqué, à plusieurs reprises, langue clairement présentée comme « un ensemble de parler alémaniques et franciques qui sont présents [en Alsace] depuis le Ve siècle après Jésus Christ » (Erhart, 13:43-54), ou encore comme un « dialecte de l’allemand » (Erhart, 43:22). On aurait pu parler de la place de l’allemand standard à l’écrit, sur l’ensemble de la période traitée.
Les images d’archives, enfin, valent le coup d’œil. Quelques images de propagande auraient nécessité quelques commentaires.
UNE INTRODUCTION ASSEZ MOYENNE
Le début du documentaire avait de quoi laisser perplexe. Les clichés s’enchaînent, avec des formules dont on peine parfois à comprendre le sens, comme « Nous aimons manger, nous aimons boire, mais nous avons un grand cœur » (Christine Spiesser, 00:00:05) ou encore « Sa cuisine traditionnelle, abondante, généreuse, rappelle les années difficiles où il a fallu survivre » (00:02:30). Dans la même ligne, l’Alsace serait « d’abord un terroir » (00:04:21), alors qu’elle en renferme plusieurs. On passe beaucoup de temps sur la vie laborieuse d’autrefois et la nécessité de s’entraider pour survivre. Mais ne sont-ce pas là des caractéristiques de toutes les sociétés traditionnelles ? Quant au « peuple […] longtemps pauvre » (00:05:21), cela dépendait de la classe sociale, comme dans les autres régions. Enfin, il convient de rappeler que l’origine du nom « Alsace » comme étant « là où coule l’Ill » (00:04:11) n’est qu’une hypothèse parmi d’autres.
LES POINTS FORTS
Le ton dramatique employé dans l’introduction (« réalité tourmentée », « histoire douloureuse, tragique », « L’Alsace a développé une identité propre qui s’est renforcée aux heures sombres de son histoire ») laissait présager le pire pour la présentation historique. Aussi, nous avons été agréablement surpris.
Il est rappelé que L’Alsace a appartenu pendant 700 ans au Saint-Empire romain germanique (c’est loin du ballotage remontant aux Romains évoqué par Wenger, 00:00:58), c’est bien. C’est extrêmement court, mais cela correspond au choix de ne traiter que la période des guerres franco-allemandes et des changements de nationalité. La guerre de 1870 et la question des optants (58 000 d’après le documentaire, une estimation qui comprend sans doute aussi les optants lorrains) est traitée sans pathos, malgré les propos du francophile Moritz. On comprend bien que ce dernier représente une orientation minoritaire, suite à l’intervention de Woehrlé sur le ressenti des Alsaciens quant au changement de nationalité : « Je ne crois pas que ça les ait affectés » (00:21:26). La période du Reichsland est plutôt bien traitée, malgré quelques écueils qui n’ont pas été évités (et sur lesquels on reviendra dans un post spécifique). On a particulièrement apprécié les quelques sauts du côté français, montrant la déconnexion de l'opinion publique, travaillée par les optants, d’avec l’Alsace réelle (00:27:48) et l’intensité du revanchisme au début des années 1910 (00:31:25). La Première Guerre mondiale et la reprise de l’Alsace par la France sont, elles aussi, plutôt bien traitées (comme on le verra dans notre dernier post).
Il en va de même de la Seconde Guerre mondiale, avec une particularité appréciable : le documentaire ne parle pas de germanisation (contrairement au Mémorial d’Alsace-Moselle de Schirmeck), mais de nazification (01:03:22). On parle bien évidemment aussi des Malgré-Nous. Mais s’ils sont envoyés à l’Est, ce n’est pas parce que l’état-major allemand se méfie d’eux (« Comme en 14-18, les Alsaciens sont envoyés le plus loin possible, sur le front de l’Est », 01 :10 :00), mais c’est parce que c’est le front principal, celui sur lequel on a besoin d’hommes, ce qui est d’ailleurs également dit (« où la Wehrmacht a un cruel besoin d’hommes », 01 :10 :07) ; en réalité, comme pendant la Première Guerre mondiale, des Alsaciens seront aussi à l’Ouest, dans les troupes d’occupation de la France, et combattront lors du débarquement allié en Normandie en juin 1944. On remarquera des images intéressantes de l’accueil des troupes allemandes par la population alsacienne (voir la capture d'écran ci-dessous). Images brièvement montrées, de propagande, naturellement, mais qu’il aurait été intéressant de mettre en parallèle, dans la narration, avec les images, de propagande elles-aussi, tournées en 1918.
LES POINTS FAIBLES
S’il y a une critique sérieuse à formuler sur ce documentaire, cela concerne le traitement de l’entre-deux-guerres (après la sortie de guerre immédiate), qui commence sur une note très irénique : « une période heureuse » (00:44:52), « il y a la paix, la liberté retrouvée, quelque chose de léger dans l’air » (00:44:53)… sans qu’on sache quand la liberté avait été perdue, ou encore « Dans les années 1920, l’Alsace se modernise et s’épanouit en France » (00:51:45). En réalité, la presse n’attend pas la « levée de bouclier » (Gérard Janus, 00:53:29) contre la tentative d’introduction des lois laïques en 1924 pour parler de « malaise alsacien ». L’autonomisme n’est pas vraiment présenté. Un intervenant déclare qu’« il y avait des autonomistes de gauche, des autonomistes de droite et des autonomistes d’extrême-droite » (Hahn, 00:54:40). On n’en saura pas plus. Le sujet est rapidement évacué. « Beaucoup se sont orientés du mauvais côté », entend-on dans la bouche de Spieser (00:55:25), qui commet, avec cette exagération, son unique faux-pas.
Autre point faible : la période après 1945. On se réjouit que la question de la lutte contre l’alsacien à l’école soit évoquée, de même que la quasi disparation du dialecte qu’elle a entraîné, mais on regrette que le sujet, pourtant fondamental, n’ait pas été approfondi. Le réalisateur a préféré parler de la réintroduction des cigognes et des institutions européennes ; ces dernières jouant, d’ailleurs, un rôle mineur dans la vie des Alsaciens. Remarquons, pour finir, qu’Albert Schweitzer est passé à la trappe. Le prix Nobel de la paix alsacien reste, décidément, un grand inconnu pour les Français !
LE REICHSLAND
La première bonne surprise, c’est l’emploi du terme de « Reichsland » au lieu de période de l’Annexion (n’en déplaise à Yves Moritz, intervenant du documentaire et auteur d’un désuet « Dictionnaire de l’Annexion »). De fait, la période est présentée sous un jour globalement positif. La Neustadt de Strasbourg est joliment mise en valeur (00:21:44-00:22:14) et les « avancées sociales » ainsi que la « richesse » apportées par l’Allemagne sont évoquées (00:22:38). « Pour le petit peuple, il y avait quand même une vie globalement positive, avec des avantages », explique Christian Hahn (00:22:39), qui donne comme exemple l’existence des toilettes dans les appartements strasbourgeois, le « gaz à tous les étages » et la sécurité sociale. « Le Reichsland profite aussi à l’industrie alsacienne » (00:25:43), entend-on. Il faudrait naturellement dire « période du Reichsland » à la place de « Reichsland », mais ne nous formalisons pas pour cela. « L’excellence scientifique » de l’université allemande de Strasbourg est aussi rappelée (Deneken, 00:30:24), propos étrangement illustrés par des images de l’inauguration de l’université française par Poincaré en 1919.
Toutes ces choses, beaucoup d’Alsaciens qui s’intéressent à l’histoire de leur région les connaissaient déjà. Mais le documentaire évoque aussi un sujet moins connu, celui d’une sorte d’âge d’or du judaïsme alsacien. En effet, si l’on met souvent en avant la forte émigration des Juifs alsaciens vers la France, on parle moins des Juifs qui sont restés dans le Reichsland (la majorité). Cet oubli est magistralement réparé par l’intervention du Haguenovien Jean-Louis Levy, évoquant avec émotion l’histoire de sa communauté : « Ça a été vraiment une période faste pour la population entière. Y compris les Juifs » (Levy, 00:23:21).
L’histoire du Reichsland par le prisme du patriotisme français est largement disqualifiée, d’entrée de jeu, par Christophe Woehrle, lorsque, partant de l’existence de son arrière-arrière-grand-père cordonnier, il s’interroge : « Dans les petits villages, le changement de régime avait-il vraiment changé fondamentalement la vie de ces gens ? » (Woehrle, 00:21:03). Il est aussi question, du côté de la France, de « mythe national » entretenant une « perception […] biaisée » de l’Alsace (00:27:48, sur quoi est joué, fort opportunément « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ») et « d’imagerie d’une Alsace opprimée » (00:28:17) pour qualifier l’œuvre de Jean-Jacques Henner. Enfin, Jean-Louis Spieser explique que « Hansi a raconté une Alsace mythifiée » (Spieser, 00:28:50). On regrette seulement l’usage sans commentaire de quelques extraits de films de propagande français, comme avec cette Alsacienne enchaînée, lors de l’évocation de la cession à l’Allemagne en 1871 (00:19:47) et quelques autres du même type.
PAS D’AUTONOMIE ?
La narratrice assène que l’Alsace « n’a pas le statut d’Etat autonome » (00:20:06) et que le Reichsland est « gouverné depuis Berlin par le Kaiser » (00:20:14). Certes, l’Alsace-Lorraine n’est pas immédiatement autonome en 1871, mais elle se voit conférer au cours des années 1870 une assez large autonomie, qui sera encore accrue par la constitution de 1911. Autour de la place de l’empereur, on parle de la bibliothèque et du palais impérial, mais pas du palais de l’assemblée régionale, le Landesausschuss, qui deviendra parlement en 1911. On ne parle pas non plus des bâtiments du Gouvernement d’Alsace-Lorraine, preuve - par la pierre - que le Reichsland était gouverné depuis Strasbourg, ni, non loin de là, du palais du Statthalter, représentant de l’empereur en Alsace-Lorraine. Cette lacune, qui donne un peu de l’Alsace l’image d’une colonie, est fort dommage, car elle empêche de bien comprendre la période de l’entre-deux-guerres.
Si l’histoire politique du Reichsland est donc un grand point faible du documentaire, c’est aussi le cas de l’histoire générale de l’Allemagne. En effet, l’erreur la plus manifeste est d’avoir fait de Guillaume Ier le « père » de Guillaume II, alors qu’il est son grand-père (00:29:00 et 00:29:08). Guillaume II est le fils et successeur de Frédéric III, qui n’aura régné que trois mois en 1888, la fameuse « année des trois empereurs ». Cependant, le film de l’inauguration de la statue de Guillaume Ier est intéressant.
QUID DE L’IDENTITÉ ALSACIENNE ?
L’identité alsacienne est aussi un point faible du documentaire concernant la période du Reichsland. On voit une photo colorisée de la place de la cathédrale à Strasbourg, avec un immense drapeau rouge et blanc sur la façade de la maison Kammerzell… mais aucun commentaire pour préciser qu’il s’agit du drapeau alsacien (00:22:39). Guillaume II est présenté comme un souverain voulant « accélérer la germanisation de l’Alsace » (00:29:20)… mais comment germaniser une terre déjà germanique ? « Il rend la langue allemande obligatoire à l’écrit », précise la narratrice (00:29:23). On se demande bien ce que cette phrase veut dire. On rappellera que le français est resté langue d’enseignement dans les communes francophones des vallées de la Bruche, de Villé, de Sainte-Marie-aux-Mines et de la Weiss ainsi que dans les quelques communes francophones du Sundgau.
LES VIEUX-ALLEMANDS CARICATURÉS
Le terme de « Vieux-Allemands » (les Allemands du reste de l’empire qui s’installent en Alsace à partir de 1871) ne sera employé par la narratrice que pour la sortie de la Première Guerre mondiale. Pour la période du Reichsland, elle emploie le terme d’Allemands, ce qui prête naturellement à confusion, puisque les Alsaciens sont, alors, aussi des Allemands. L’intervention de Christian Hahn au sujet de « l’administration allemande » est, quant à elle, particulièrement malheureuse : « C’était les Allemands du Nord, les Prussiens, qui étaient des conquérants, qui venaient en terrain conquis, et qui se comportaient comme des maîtres » (Hahn, 00:20:40)… le tout dit sur fond d’un film de propagande français, montrant une Alsacienne sur le point de se faire violenter par des soldats allemands. On n’est pas loin de l’image xénophobe du « barbare ». En plus, la déclaration nécessite une petite rectification géographique : le royaume de Prusse englobait aussi la Rhénanie, à l’ouest de l’Allemagne, et beaucoup de ces fonctionnaires « prussiens », soi-disant si terribles, étaient en réalité des Rhénans.
D’une manière générale, on a l’impression (et elle ne sera pas démentie qu’on en reparlera d’eux après 1918) que les Vieux-Allemands étaient des colons qui n’entretenaient avec les Alsaciens que des relations de domination. Or, d’une part, les Vieux-Allemands n’étaient pas que des militaires et des fonctionnaires, mais aussi beaucoup d’ouvriers et d’artisans ; d’autre part, les mariages avec les Alsaciens étaient fréquents.
DES THÈMES NOUVEAUX CONCERNANT 1914-1918 ET LA SORTIE DE GUERRE
Comme pour la période antérieure, nous avons été agréablement surpris par l’évocation de thèmes nouveaux pour le grand public. Le documentaire s’est ainsi penché assez longuement – deux minutes – sur « la déportation de milliers de civils alsaciens » (00:34:28), en s’appuyant sur l’expertise de Jean-Louis Spieser. Même le terme de « camp de concentration » (00:35:32), utilisé alors pour désigner les camps de prisonniers civils, a été exhumé de cette « zone d’ombre peu glorieuse pour la France » (00:34:25) !
Autre bonne surprise : la remise en question de la « folie tricolore » – expression utilisée par Yves Moritz, seul tenant de la doxa patriotique à intervenir sur ce sujet (00:39:05) – qui avait accompagné l’entrée des troupes françaises en Alsace après l’armistice de 1918. Christian Hahn et Jean-Louis Spieser expliquent les dessous d’un enthousiasme en réalité habilement suscité (00:36:59-00:37:40). « Est-ce que la liesse est liée au retour de l’Alsace à la France ou est-ce qu’elle est liée à la fin de la guerre, finalement ? », s’interroge Christophe Woehrle (00:38:36), qui avait, cinq minutes plus tôt, démonté le mythe de l’Alsacien combattant malgré-lui dans l’armée allemande (00:32:37-00:33:07). Le documentaire rappelle que le retour à la France n’était pas une évidence politique. L’absence de consultation de la population, expliquée par Christian Hahn, est soulignée par la narratrice, qui résume : « Et c’est ainsi que l’Alsace et la Lorraine redeviennent françaises, sans qu’on leur demande formellement leur avis » (00:39:28).
L’emploi du terme « épuration ethnique » (00:40:07) pour désigner « l’expulsion outre-Rhin de plus de 100 000 Vieux-Allemands » (00:40:14) – dont les conditions terribles sont bien décrites par Michel Deneken – est aussi une avancée notable. La « méthode un peu brutale » (00 :43 :27) utilisée pour franciser les enfants à l’école – c’est-à-dire la méthode directe – est évoquée par Pascale Erhart. Il n’y a que Laurent Pfaadt, visiblement mal informé, qui, au sujet du changement de langue, « ne pense pas que ça a été mal vécu » (00:44:34) et parle du « début d’une nouvelle histoire, […] l’histoire de la France » (00:44:37).
Dernier motif de satisfaction concernant la sortie de la Première Guerre mondiale : le sujet, cher à Unsri Gschìcht, de la francisation des prénoms sur les monuments aux morts, est expliqué par Jean-Louis Spieser (00:43:57-00:44:22).
CE QUI EST PASSÉ À LA TRAPPE
Le documentaire n’ayant pas parlé, précédemment, de l’autonomie du Reichsland Elsass-Lothringen, on attendra, logiquement, en vain une quelconque mention de la représentation régionale, le Conseil National d’Alsace-Lorraine présidé par Ricklin. Dommage, car c’est une donnée indispensable pour comprendre l’émergence, pendant l’entre-deux-guerres, d’un vaste mouvement autonomiste (dont nous avons déjà dit qu’il avait été mal traité par le documentaire). Cela aurait aussi été l’occasion d’évoquer l’épisode des conseils d’ouvriers et de soldats, bref mais pittoresque et, bien plus, montrant la réalité ouvrière de l’Alsace d’alors.
DE PETITES CHOSES À RECTIFIER
Des inexactitudes doivent aussi être rectifiées. Commençons par un cliché qui a décidément la vie dure, à savoir que « presque tous [les Alsaciens] sont envoyés se battre sur le front de l’Est, en Russie, loin de la France » (00:34:07). On rappellera que si des consignes ont été données dans ce sens par l’état-major allemand, elles ne le furent qu’en 1915, plusieurs mois après le début des hostilités. On rappellera aussi qu’elles n’ont pas été suivies automatiquement d’effet et que beaucoup d’Alsaciens sont restés sur le front de l’ouest en 1916 et 1917. On rappellera enfin qu’avec l’effondrement du front russe en 1918, les Alsaciens sont renvoyés en masse sur le front de l’ouest à la fin de la guerre. Le documentaire ne rappelle pas que le front de l’est était moins meurtrier que celui de l’ouest.
« En Alsace, la guerre déchire les familles » (00:32:22), affirme encore la narratrice. Mais elle cite ensuite des chiffres qui montrent que ce n’est clairement pas le cas : 12 000 Alsaciens côté français, 300 000 côté allemand ! On ne sait pas d’où sortent ces chiffres et s’ils concernent les seuls Alsaciens, comme le prétend le reportage, ou bien les Alsaciens-Lorrains dans leur globalité. Notre perplexité concernant les 12 000 engagés volontaires est d’autant plus grande que ces derniers seraient « surtout des fils d’optants » (00:32:29)… or, les fils d’optants étaient des Français mobilisés comme les autres Français, et ne sont pas comptés dans les statistiques parmi les Alsaciens, de nationalité allemande.
Christophe Woehrle, présentant les « cartes d’identité ethniques » (00:42:11), commet sa seule erreur factuelle en expliquant que son arrière-grand-père Heinrich n’a pas eu droit, en 1918, à la carte de modèle A parce que « né Allemand en 1894 » ; or, nombre d’Alsaciens nés Allemands ont reçu une carte de modèle A parce que leurs parents étaient de nationalité française avant 1871 (c’est justement ce qui fait de ces cartes d’identité des cartes d’identité ethniques).
Deux rectifications plus bénignes, pour finir : 1) non, « tous les instituteurs » n’ont pas été « remplacés du jour au lendemain » après 1918 (Christian Hahn, 00:43:32), mais près de 1000 instituteurs et institutrices ont été relevés de leurs fonctions, soit environ un sixième de l’effectif ; 2) non, le terme de « Vieux-Allemands » pour désigner les Allemands du reste de l’Empire installés en Alsace-Lorraine après 1871 n’est pas une expression inventée par les Alsaciens (00:40:14), mais un terme en usage dans les rapports et les statistiques de l’administration allemande. On a déjà critiqué la réduction de ce groupe à la seule catégorie des fonctionnaires. Les Alsaciens étaient moins insensibles au sort des expulsés que Christian Hahn ne le laisse entendre (00:41:27) : dès 1919, le journaliste Camille Dahlet s’élève contre la politique de « débochisation » menée par la France.
On répètera, pour finir, que malgré ses imperfections – mais qu’est-ce qui peut être parfait ? –, ce documentaire vaut le coup d’œil, à commencer par celui des Alsaciens.
Eric Ettwiller